Formule 1: le retour du Grand Prix de Belgique à Spa-Francorchamps, à quel prix ?

Le gouvernement wallon annonce le retour du Grand Prix de Belgique à Francorchamps en 2024. Mais sa déclaration triomphaliste laisse deviner une certaine nervosité.

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Les efforts déployés ont payé. Le Grand Prix de Formule 1 aura bien lieu à Spa en 2024”, annonce, sur Twitter, Willy Borsus trois semaines avant le 30 juillet 2023, le jour du départ de l’édition de cette année. Le ministre wallon de l’Économie répand davantage son enthousiasme dans la presse. “C’est un événement incontournable pour la Wallonie qui se confirme pour l’année prochaine. Notre Région sera, une fois de plus, grâce à l’excellence de son offre événementielle et à une infrastructure sportive légendaire, placée au cœur de l’attention mondiale grâce à ce championnat à la renommée incontestable.” Il s’empresse d’ajouter: “Les retombées économiques que ce type d’événement exceptionnel apporte à la Région, voire au pays tout entier, sont indéniablement un plus considérable pour la Wallonie. Au total, un euro investi rapporte 9,67 € de valeur ajoutée en Belgique dont 7,33 € pour la Wallonie”. Pourquoi communiquer sur l’édition 2024 et son aubaine financière alors que le départ du Grand Prix de Francorchamps de cette année n’a pas encore eu lieu? La fébrilité du propos se devine dans les justifications que nous donne la porte-parole du ministre, Pauline Bievez. “Nos efforts consistent en une démarche proactive vis-à-vis de toutes les parties prenantes concernées, afin de défendre la présence du circuit de Spa dans le calendrier du Grand Prix, malgré une concurrence croissante chaque année. Il est important de souligner que, dans ce contexte hautement compétitif, notre place n’est pas acquise, ce qui nécessite de plaider chaque année pour maintenir la place de la Belgique sur la scène mondiale du sport moteur.

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En dix ans, les pertes d’exploitation cumulées par la SA Spa Grand Prix s’élèvent à 64,5 millions d’euros.

Chaque édition se négocie au cas par cas. De quoi donner des sueurs froides aux sociétés en charge du circuit et de l’organisation du Grand Prix qui se sont endettées pour investir dans l’infrastructure “légendaire”. Des sueurs froides toutefois relatives pour les exploitants. Car la S.A. Circuit de Spa-Francorchamps est une société de droit public construite avec les deniers publics. En 2022, elle n’était en perte d’exploitation “que” de 337.000 euros. En revanche, elle possédait des dettes à hauteur de 50 millions d’euros. Gloups! La S.A. Spa Grand Prix est, elle, une société privée. Enfin, relativement “privée” pour ses exploitants. Car ces déficits de la S.A. sont structurellement couverts par des recapitalisations à travers l’un de ses actionnaires: la société publique Sogepa, qui fait désormais partie de Wallonie Entreprendre. Le gouvernement wallon a par ailleurs promulgué en octobre 2022 un arrêté qui stipule qu’”en compensation des services d’intérêt économique général rendus par la S.A. Spa Grand Prix, la Région wallonne s’engage à couvrir les pertes éventuellement réalisées par la société”.

Plus rentable sans spectateurs

“Éventuellement”? La rédactrice ou le rédacteur de l’arrêté ne manque pas d’aplomb. Les dix années disponibles de bilans de la S.A. Spa Grand Prix font état de pertes d’exploitation allant de 8,5 millions (en 2016) à 5,8 millions d’euros (2013). Une anomalie: en 2020, la perte d’exploitation n’était que de 1,3 million. Lorsqu’on y regarde de plus près, voilà de quoi donner de réelles sueurs froides aux contribuables. En effet, cette année-là, il y a eu un Grand Prix à huit clos pour raison sanitaire. Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans le fait de constater, dans les bilans comp­tables, qu’un Grand Prix sans 110.000 spectateurs (le prix d’une place adulte varie de 185 à 435 euros/jour) perd moins d’argent qu’un Grand Prix avec des spectateurs. Le zéro spectateur de 2020 fait “mieux” que le 110.000 spectateurs de 2021. Pourquoi? Lors du Covid, le Formula One Management (FOM) qui gère la Formule 1 aurait-il ­dispensé la S.A. de verser le montant annuel (15, 20 millions, voire plus? - le montant est secret) nécessaire pour faire venir le Grand Prix à Spa? Mystère. En dix ans, les pertes d’exploitation cumulées par la S.A. Spa Grand Prix s’élèvent à 64,5 millions d’euros. On comprend l’empressement de Willy Borsus à rassurer sur la capacité du Grand Prix de Belgique de F1 à démultiplier ce qu’on y investit. Ces 64,5 millions, quelle importance si on les multiplie?

Une bonne affaire confidentielle

Le Grand Prix de 2021 aurait rapporté 7,33 fois sa mise (6,8 millions de perte) à la Wallonie, disait le ministre. Soit près de 50 millions d’euros. Les hôtels, campings, restaurants, friteries, buvettes, recettes TVA… Et puis, à 200 euros le prix moyen de la place pour 100.000 spectateurs, cela fait déjà 20 ­millions de recette. Mais au fait, ces 20 millions sont déjà encaissés par la S.A. Spa Grand Prix qui est déficitaire. Alors quid? Que compte-t-on? Pas de ­problème, le ministre Borsus se base sur “un récent rapport”. Allons donc nous y plonger. On a dû envoyer cinq mails pour essayer de l’obtenir. Au cabinet Borsus, à Melchior Wathelet, le président du C.A. des deux S.A. en charge du circuit et du Grand Prix… Peine perdue. Il est “confidentiel”. Pourquoi?

Il a été commandité par une entreprise privée: la S.A. Spa Grand Prix… “Il est évident que des études de ce type sont construites à la demande des pouvoirs publics pour justifier leurs décisions, juge Emmanuel Degrève, professeur à l’Ephec, ingénieur commercial et conseiller fiscal. Cette étude devrait être ­transparente puisqu’elle engage de l’argent public. Tout le monde y gagnerait. En regard des sommes que la Wallonie peut parfois dépenser dans certaines infrastructures… la demi-douzaine de millions par an ne semble pas déraisonnable. Le fait de ne pas communiquer ce rapport ne fait qu’accréditer l’idée qu’il pourrait être entaché d’irrégularités.” Bien dommage de verser soi-même de l’huile sur la piste qu’on va emprunter…

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