Comment (vraiment) recharger ses batteries en vacances

Déconnecter, souffler, se détendre… Nos congés se conjuguent souvent à ces impératifs. À moins qu’on ne change enfin notre rapport au travail.

une femme sur le point de partir en vacances
© Adobe Stock

La grande transhumance des vacances d’été est en marche. Les voisins sont partis, la boulangerie du coin a fermé, les photos de plage et de feta grecques affluent sur ­Instagram... Au retour, ce sera de nouveau l’attente pour le prochain temps de pause. Rares sont ceux qui, comme Anouk, ne ressentent que peu le besoin de prendre des congés, malgré leur vie professionnelle. À 29 ans, la jeune femme a trouvé un rythme de boulot qui lui fait oublier l’envie de compter les jours jusqu’à la fameuse croix sur le calendrier. “Je travaille comme éditrice indépendante pour un journal. En général, je travaille environ trois jours par semaine.” Le reste du temps, elle fait du sport, quelques heures de bénévolat, des ateliers couture, s’occupe de son potager, se balade ici et là. “Résultat, je me sens presque en ­vacances toute l’année, rit-elle. Partir en congé, pour moi, c’est limite plus stressant parce que ça demande de l’organisation et ça casse le quotidien.” Un ovni dans le flot de collègues qui, eux, sont bien pressés d’y être, en congé. Ce qui est sûr, pointe le professeur à la Faculté de philosophie de l’UCLouvain, Mark Unyadi, c’est que le travail influe grandement sur notre besoin de déconnecter. “Dans la vie courante, on se sent pressé, oppressé même, par les contraintes et les tâches que nous devons faire. L’entreprise est devenue le principal prescripteur de temporalité: c’est elle qui dicte le rythme de vie au quotidien, à la semaine et à l’année. Les vacances ne se définissent que par rapport au temps de travail finalement. On dit souvent: “je vais recharger mes batteries”, cela montre bien que le temps de ­vacances est lui aussi pris dans l’économie du travail puisqu’on se remet d’aplomb pour mieux reprendre le boulot à la date prescrite.” D’ailleurs, une étude du professeur néerlandais Michiel Kompier, spécialisé en psychologie du travail, montre que le sentiment de déconnexion n’est réellement présent qu’après huit jours de vacances et qu’il s’évapore dès la première semaine du retour.

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Faire ou ne pas faire

Le quotidien, souvent effréné et routinier, explique notre besoin de changer d’air quand le soleil d’été fait son apparition. “Déployer son corps et son esprit dans des activités multiples, c’est un besoin fondamentalement humain. Or cette pluralité de désirs et d’aspirations est niée dans le monde du travail où chacun est assigné à un type de tâches. C’est aliénant. On veut pouvoir se promener le matin, regarder un film l’après-midi, cueillir des champignons, passer du temps en famille…”, explique Mark Unyadi. On comprend donc mieux ce qui dans le mode de vie d’Anouk lui permet d’échapper à cette envie de partir régulièrement. “Ce besoin d’épanouissement est nécessaire, c’est une énergie vitale qui s’exprime dans ce désir de changer de contexte, d’aller voir un autre pays en vacances”, continue le professeur en philosophie. Rien d’étonnant donc, pour lui, à ce que le programme des congés soit parfois aussi chargé qu’un planning professionnel.

Quitte à trop en faire. À force de chercher à manger dans le meilleur restaurant, à faire la plus belle randonnée, à se prendre en photo devant le monument le plus impressionnant, on en oublie presque… de se reposer. La docteure en philosophie à l’UNamur, Laura Rizzerio, observe que la frénésie de notre quotidien s’invite parfois dans nos vacances. “Le tourisme de masse, par exemple, prouve que nous avons une façon erronée de penser à nos temps libres car souvent il s’agit juste de passer et de consommer sans faire attention à son environnement.” Déjà en 1972, le sociologue et philosophe français Edgar Morin regrettait que le tourisme “ne nous apporte pas les libérations profondes que nous étions en droit d’attendre”. Aujourd’hui, un de ses confrères, ­Charles Pépin, plaide pour le “vagabondage mental”. “Il faut être disponible à ce qui n’était pas prévu. Si nous sommes toujours pressés, nous ne sommes pas dans la régulation émotionnelle. Au contraire, le ralentissement estival nous ouvre aux autres: quand on se détend, nous sommes davantage capables de percevoir notre entourage”, affirme-t-il dans l’émission C l’hebdo sur France 5, diffusée en juin dernier.

Éloge de l’inutilité

En gros, ce dont nous avons besoin en vacances, c’est de bayer aux corneilles, sans penser ni au prochain musée à visiter, ni à notre boîte mail qui se remplit. Ce temps “perdu” l’est beaucoup moins qu’on ne l’imagine. “On pensait il y a quelques dizaines d’années que lorsqu’on ne faisait rien, on ne faisait vraiment rien: on se reposait, tout simplement. Puis on a découvert que, finalement, c’est à ce moment-là que notre cerveau est le plus actif, imaginatif, créatif. Lorsqu’on croit être dans l’inaction, on fait au contraire beaucoup: on développe une lucidité par rapport à sa vie et ses désirs, on observe mieux la nature”, développe Charles Pépin, pour qui l’été est en ce sens “la saison de la vérité”. “On devrait être capable de mettre son ­cerveau au repos chaque semaine et ne pas attendre d’être en vacances pour cela.” Laura Rizzerio acquiesce: “Il faut reconnecter l’homme avec cette nécessité d’avoir des activités désintéressées, qui ne ­servent à rien. Notre société est très réticente à ça, cela s’est vu pendant la crise sanitaire où la culture et les ­activités ludiques étaient considérées comme non essentielles. Pourtant, elles sont nécessaires à notre bien-être. Mais ça ne veut pas dire qu’on doit partir, on peut ­connaître cette expérience-là chez soi, en faisant la fête avec ses voisins ou juste en lisant un livre”.

Pour Mark Unyadi, le problème est “fondamentalement politique”. “Individuellement on peut toujours s’investir moins dans le travail, demander un travail partiel, etc. mais ça reste cosmétique. Une autre organisation sociale est possible, mais il faudrait vraiment des changements en profondeur.” En attendant, un article des docteurs en psychologie Jean-Sébastien ­Boudrias et David Emmanuel Hatier, paru dans la revue spécialisée québécoise Psychologie, suggère aux travailleurs de miser sur des congés plus courts, de une à deux semaines, mais plus fréquents… Une façon de multiplier les temps de repos, en enlevant la pression de “réussir” ses seules vacances de l’année.

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