
Éboueur et balayeur, des métiers qui manquent cruellement de reconnaissance et de respect : «On nous presse de plus en plus»

Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse soixante degrés à l’ombre comme cet été, les services de propreté sont là. Ils arpentent les rues pour vider les poubelles, ramasser les crasses, nettoyer les murs, effacer les tags, récupérer les dépôts clandestins… Et pourtant, ils demeurent invisibles dans l’espace public. Or ils ont leur mot à dire. Premier constat général: nous sommes sales. Et inciviques. “Les incivilités ont fortement augmenté, c’est flagrant, note Didier Even, contremaître à la cellule Entretien du centre urbain à Namur. Par exemple, on remplit les poubelles publiques de déchets ménagers. Ou on dépose de plus en plus d’encombrants n’importe où, puis on s’en va.” Une augmentation de dépôts clandestins que confirme son collègue namurois Pascal Guisse, contremaître à la cellule Infractions, et dont les équipes traitent les communes qui entourent la capitale wallonne. “Durant le confinement, on s’est dit que les gens ne pouvant plus sortir il y aurait moins de déchet. Pas du tout, c’était incroyable. C’est même de pire en pire. Il n’y a pas un jour à moins de 10-15 interventions. Il faut venir sur le terrain pour se rendre compte.”
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Alassane Sek est un brin plus optimiste. Depuis une dizaine d’années, il balaye les rues de Bruxelles, la plupart du temps entre 6 h 30 et 14 h 30. Parfois, il vide les corbeilles ou ramasse les dépôts clandestins. Quand on l’a rencontré, il venait de vider les cendriers qui jonchent les arrêts de bus. S’il note une légère amélioration de la propreté dans sa ville, il déplore tout de même la saleté qui règne dans la capitale. “Chaque jour, on balaye, on voit la saleté. Beaucoup de gens nous le signalent, mais on fait de notre mieux. Je pense que dans la ville de Bruxelles, c’est mieux qu’il y a quelques années. Surtout depuis l’arrivée du piétonnier.”
"Nous sommes engagés"
Tous notent cependant un manque criant de respect à l’égard de leur travail. “Certains nous remercient mais d’autres nous disent que s’ils ne jetaient pas leur papier par terre, on n’aurait pas de boulot…, estime Alassane Sek. Parfois, leurs gestes vis-à-vis de nous suffisent à comprendre leur manque de respect.” Pascal Guisse rebondit. “Parfois les gens nous disent qu’ils ne sauraient pas faire ce qu’on fait. Mais on les compte sur les doigts de la main.” Les citoyens ne comprendraient pas, ou ne voudraient pas comprendre, les règles qui régissent les services de propreté. “Un mardi sur deux, nous devons envoyer une équipe toute la journée pour ramasser les PMC que les gens ont déposés parce qu’ils mettent le carton avec les PMC. Je vois aussi souvent des sacs éventrés parce que les gens ont shooté dedans…”
Fred est éboueur dans la région de Liège. Se lever à 4 heures pour commencer sa tournée à 5 heures ne le prémunit pas de l’agressivité des citoyens liégeois. “Avec le camion, on bloque la circulation, et les gens sont énervés parce qu’on crée des files. Certains traversent sur les trottoirs pour nous dépasser. Quand on refuse certains déchets parce que le tri n’est pas respecté, on se fait aussi parfois agresser.”
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Sur le terrain, Alassane Sek tente parfois de sensibiliser directement les citoyens. “Nous sommes engagés, et on est prêt à répondre à tout le monde et à faire notre devoir.” Engagement, devoir… Des mots qui résonnent dans la bouche du balayeur bruxellois et des autres agents de la propreté. “Si on restait une seule journée sans travailler, les gens se rendront compte de l’importance de notre travail.” Un travail qui souffre pourtant d’une importante dévalorisation sociale. “Quand on te demande ce que tu fais dans la vie, tu n’es pas fier d’annoncer que tu es balayeur. Tes enfants non plus. Mais en tant que citoyen, ce métier donne du sens et on montre qu’on en est fier.”
Samedi dernier, la Ville de Bruxelles participait à la World Clean Up Day. Une journée durant laquelle les citoyens pouvaient rejoindre un service de balayage et aider les travailleurs. Un bon moyen de rapprocher la population des enjeux de propreté pour Alassane Sek. “Ils doivent se rendre compte qu’ils ont un grand rôle à jouer.” Didier Even voudrait voir l’initiative rallier Namur. “On avait fait une journée portes ouvertes il y a quelques années, ça avait pas mal fonctionné. Ce serait une bonne idée de participer à ce genre de journée mondiale, pour que les gens puissent se rendre compte.”

Des citoyens participent au World Clean Up Day à Calais. © BelgaImage
“Bruxelles doit être propre, poursuit Alassane Sek. C’est la capitale de l’Europe, elle accueille des touristes et les plus grands dirigeants du monde.” Didier Even insiste aussi sur le tourisme. “Namur est la capitale wallonne, elle doit pouvoir se vendre. Et pas avec des dépôts clandestins et des rats.” Pour Pascale Guisse, c’est aussi une question de sécurité. “C’est quand même plus gai de se balader dans une rue où tout est propre que là où les poubelles débordent. Je me sens moins en sécurité dans une rue sale.”
Métier à risques
L’insécurité, il en est aussi question pour les travailleurs. Il est important de rappeler que le métier d’éboueur est celui qui présente le plus de risques d’accident de travail. Fred rappelle que plusieurs de ses collègues ont dû être envoyés à l’hôpital. “Ils se sont fait écraser parce que les gens étaient pressés. On nous presse de plus en plus et on a du mal à gérer la circulation. Plus vite on essaie de travailler et plus le risque augmente.” La pression vient également des employeurs, qui doivent prouver que leurs équipes bossent vite et bien. Le secteur du ramassage des déchets est en effet fortement marqué par la concurrence. Concrètement, l’intercommunale Intradel sous-traite le ramassage à des sociétés et chaque marché vaut son pesant d’or. De quoi rajouter de la pression sur les éboueurs et augmenter encore le risque d’accident.
Comment concrétiser dans nos rues la valorisation de la propreté? Pour Alassane Sek, cela passera par plus de surveillance et de sanctions. Mais pas par plus d’infrastructures. “Des poubelles, il y en a, concède Pascal Guisse. Et plus il y a de poubelles, plus il y a de dépôts. On parle d’installer des caméras. Mais pour que cela évolue, il faudrait avant tout changer la mentalité des gens.” Et montrer l’exemple. “Quand je passe devant une école, j’essaie de prendre trente secondes pour sensibiliser les enfants, signale Fred. C’est pour eux qu’on doit le faire aussi et si les élèves veulent faire un tour, je suis dispo. Mais, en réalité, ce sont surtout les parents qu’il faut éduquer.”
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© Moustique