Avec ces retraités qui ne peuvent pas s'arrêter de travailler : « J’avais envie de rendre service »

La tendance est claire: les personnes de plus de 65 ans sont de plus en plus nombreuses à continuer de travailler. Entre vraie envie et nécessité financière. Témoignages.

pensionnés au travail
6 % des 65 à 69 ans occupaient un emploi à la fin de l’année 2022. Une augmentation de près de 50 % en deux ans. © Adobe Stock

Chaque mois depuis qu’elle a pris sa pension, Martine grignote sur son épargne. Quand, il y a un an, la ­soixantenaire raccroche son uniforme d’agent pénitentiaire, c’est la surprise. Dans sa carrière faite de boulots divers et variés, six années en tant qu’indépendante n’ont pas été comptabilisées. Aujourd’hui, une fois le prêt hypothécaire et celui pour les panneaux solaires payés, il ne lui reste plus grand-chose de ses ­quelque 1.500 euros de revenu de remplacement pour vivre. “J’ai du coup récemment décidé de ­chercher un travail pour être un peu plus à l’aise financièrement.” Centre de tri postal, agence d’intérim… Après une vingtaine de candidatures envoyées dans différents secteurs, Martine n’a pas encore retrouvé un emploi, mais elle ne baisse pas les bras. Au-delà de se faire des sous, elle voit dans ce futur boulot une façon d’élargir son cercle social. “Être seule, ce n’est pas évident. La première année de pension c’est bien, mais après on se demande ce qu’on va faire.

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À 72 ans, Michel fait le même constat. Lui qui travaille encore comme directeur des achats dans l’entreprise où il a fait une bonne partie de sa carrière voit ses amis pensionnés trinquer depuis des années. “Beaucoup auraient aimé pouvoir continuer à travailler comme moi. Une fois qu’ils ont repeint leur maison de fond en comble, ils ne savent plus quoi faire. Certains sont tombés en dépression sévère.

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Sauve qui peut

Envie ou nécessité de travailler après 65 ans, les seniors sont en tout cas de plus en plus nombreux à garder une vie professionnelle une fois l’âge de la retraite arrivé. Selon les chiffres d’Eurostat, près de 6 % des Belges de 65 à 69 ans occupaient un emploi à la fin de l’année 2022, contre 4,2 % en 2020 d’après les données du SPF Finances. L’effet “carotte” d’une réforme mise en place sous le ­gouvernement Michel, estime le président de l’école d’économie de l’UCLouvain, Jean ­Hindriks. “Aujourd’hui, à partir de 65 ans, il est possible de cumuler son revenu de remplacement avec un salaire, sans plafond.” En gros, continuer à ­bosser après sa retraite, c’est désormais jackpot ou presque… Les salaires restent taxés en fonction du montant perçu, évidemment. Cette mesure est surtout symbolique d’un double constat: d’abord, la population vit plus longtemps, ce qui met en tension les finances publiques; et puis certains ­secteurs en pénurie manquent cruellement de main-d’œuvre. Faire travailler plus longtemps les citoyens semble la solution toute trouvée pour réduire la pression à ces deux niveaux. Encore faut-il que les gens en aient envie, de continuer à bosser.

D’après une étude d’Acerta justement, rien n’est moins sûr. Les chiffres montrent qu’au cours des cinq dernières années, le nombre de travailleurs de 50 ans et plus sur le marché de l’emploi a diminué de 35 %. Si le professeur Jean Hindriks y voit une ­possible anomalie liée à la crise Covid, il reconnaît tout de même une démotivation chez les personnes en fin de carrière. “Il y a une tendance à partir dès qu’on peut. Trois quarts des gens quittent le marché du travail définitivement avant la pension, par des portes de sortie alternatives comme le régime de crédit-temps fin de carrière. C’est symptomatique d’un malaise.

pensionnés au travail

© Kanar

Flexi-vieux

Pour lui, ceux qui partent tard en pension sont ­surtout ceux qui se sentent bien dans leur boulot. “Ce sont plutôt des profils aux revenus supérieurs, ayant commencé leur carrière tardivement.” À l’image de Michel donc, qui à 65 ans s’est vu ­proposer de continuer à travailler dans son entreprise quelques années supplémentaires, en attendant que ses boss trouvent son successeur. “J’avais envie de rendre service, de ne pas laisser tomber une boîte dans laquelle je me sens bien. J’aime beaucoup ce que je fais, donc je le vis bien de continuer à travailler, ça conserve les neurones!

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Employé à temps plein jusqu’à l’aube de ses 70 ans, le directeur des achats est désormais indépendant et ne travaille plus que quelques jours par mois pour former la relève. “C’est difficile de savoir si les gens partent à la pension par choix, car finalement ils sont assez souvent poussés dans le dos par leur entreprise, souligne Jean Hindriks. Mais on pourrait fonctionner autrement. On a un concept d’âge qui est périmé dans la mesure où on a une longévité qui ne cesse de s’agrandir. Aujourd’hui, à 65 ans, on n’est pas vieux comme on l’était il y a vingt ans. Si le travail est valorisant et épanouissant, il ne faut pas le diaboliser. Le recul de la pension doit surtout être le résultat de politiques bien menées pour améliorer les conditions de travail et pour qu’un travailleur de plus de 55 ans reste ­opérationnel.” Dans les pays nor­diques, le nombre de seniors toujours actifs ­professionnellement après leurs 65 ans s’envole d’ailleurs au-dessus des 25 %. Là-bas, le système est bien plus flexible. Au Danemark et en ­Norvège notamment, les travailleurs peuvent partir à la retraite entre 62 et 75 ans.

“Trop vieux”, “diminués”… Les clichés encore présents sur le marché de l’emploi concernant les citoyens de plus de 65 ans sont tenaces. Depuis qu’elle envoie ses candidatures, Martine en fait les frais. “On me répond que le boulot sera trop lourd pour moi, que les horaires ne seront pas adaptés pour une personne de mon âge, etc.” Kathelijne ­Verboomen, directrice du Centre de connaissances d’Acerta, acquiesce. “Ce n’est pas toujours évident pour ce public de trouver de nouvelles opportunités… Mais aujourd’hui beaucoup d’employeurs veulent travailler sur ces problématiques afin d’être davantage inclusifs.” En Flandre, une agence d’intérim nommée Nestor s’est d’ailleurs spécialisée il y a quelques années dans les offres d’emploi pour les personnes en fin de carrière ou pensionnées. L’entreprise de livraison de colis-repas Smartmat (Foodbag et Rayon), elle, travaille ­principalement avec des chauffeurs de plus de 65 ans. Beaucoup sont là pour casser la solitude d’un quotidien à la maison et se sentir utiles, avance le ­responsable distribution Jonathan De Lange. Même si la crise énergétique et l’inflation, dit-il, ont rajouté ces derniers mois une motivation financière. “Sur nos 150 chauffeurs actuellement, environ 85 % sont ­pensionnés. Le plus âgé a 72 ans.” Du haut de ses 29 ans, il reconnaît, lui aussi, s’être montré un peu sceptique au début sur le fait d’embaucher des ­pensionnés, de peur que le boulot soit trop fatigant pour eux. “Depuis, mon regard a ­complètement changé. Les gens sont en forme et motivés.

Aujourd’hui, ça fait quatre ans que Smartmat a décidé de se tourner vers les seniors pour assurer, en flexi-job, les livraisons des colis-repas aux ­clients. Mécontente à l’époque des services de PostNL, l’entreprise se dit que les personnes pensionnées seront plus attentives aux boîtes qu’elles trans­portent. “J’apprends beaucoup en travaillant avec elles, pointe Jonathan De Lange. Elles ont tendance à être plus directes dans leur communication et à rester calmes face à des situations stressantes.” Kathelijne Verboomen d’Acerta abonde dans ce sens: “C’est toujours interessant pour l’employeur de travailler avec quelqu’un de motivé et qui a une certaine maturité”. Sans oublier, souligne le professeur Jean ­Hindriks, qu’embaucher un senior… peut aussi coûter moins cher. “Les salaires peuvent être renégociés à la baisse car ce n’est plus toujours la même efficacité au travail.

Réorganiser le travail

Si la question de l’âge de la pension est complexe et très variable en fonction des métiers exercés, l’économiste plaide en tout cas pour réorganiser le travail afin qu’il soit soutenable. “Il faut investir davantage dans la formation pour les seniors et ­prendre en compte l’âge dans la fonction remplie.” Chez Smartmat, par exemple, le temps imparti par livraison a été légèrement modifié à la hausse depuis l’arrivée des ­travailleurs pensionnés. “Pas parce qu’ils sont plus lents pour faire leur travail, mais parce que nous avons observé qu’ils ont davantage tendance à discuter avec les clients, ce qui est d’ailleurs apprécié”, dit Jonathan De Lange. Ce qui n’empêche pas la trentenaire qui a écrit ces lignes de penser que travailler jusqu’à 67 ans, cela paraît bien long...

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