Pourquoi Delhaize veut franchiser tous ses magasins

La direction de l'enseigne de supermarchés Delhaize a annoncé sa volonté de faire passer tous les magasins encore intégrés, soit 128 sur 764, sous franchise.

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Pour quelle raison ?

Selon la direction, les magasins affiliés "ont vu leur part de marché augmenter de manière constante au cours des dernières années", tandis que "les supermarchés en gestion propre (...) ont vu leur rentabilité et leur part de marché décliner au cours de la même période". Elle estime qu'en choisissant un seul modèle de magasins, Delhaize pourra s'adapter avec flexibilité à un marché en évolution rapide.

Pour la direction, "il s'agit de la seule option pour continuer à investir dans un avenir durable pour Delhaize". Elle assure qu'aucun collaborateur des magasins ne perdra ni son travail, ni ses conditions salariales, par contre "la transition progressive des supermarchés en gestion propre vers des magasins indépendants entraînera une réduction graduelle du nombre de fonctions au sein du siège".

A qui la faute ?

Selon Manuel Gonzalez, permanent de la CNE interrogé par La Libre, c’est un échec pour le CEO de Delhaize, Xavier Piesvaux.

« Le profil Ahold prend le dessus. Or la notion de flexibilité du travail est beaucoup plus large aux Pays-Bas qu’en Belgique. Cela ne présage pas des choses positives », avait de son côté estimé Myriam Delmée (Setca) en évoquant la fusion entre le Ahold (Pays-Bas) et Delhaize.

La spécialiste du commerce de détail de la KU Leuven, Els Breugelmans, suppose également que la décision de franchiser les magasins a entre autre été motivée par la pression de la société mère aux Pays-Bas. "C'est l'histoire du petit frère Delhaize qui coûte cher mais qui ne va pas très bien", résume-t-elle.

Elle confirme d'ailleurs que les magasins indépendants permettront à Delhaize de baisser ses coûts et de gagner en flexibilité. "Les coûts salariaux de ces magasins ne pèseront plus sur sa propre masse salariale. Les magasins franchisés peuvent aussi travailler davantage avec des étudiants et alors rester ouverts plus longtemps ou ouvrir le dimanche. Et les entrepreneurs locaux peuvent réagir plus rapidement aux besoins du consommateur."

Pas de pertes d’emploi mais…

Delhaize n’a pas annoncé de pertes d’emploi et selon Xavier Piesvaux, ce changement de modèle est d’ailleurs porteur de croissance. Si la direction assure que le personnel sous CDI conservera son contrat lorsque le magasin sera franchisé, il y a cependant un risque après six mois : « Le repreneur, comme tout chef d’entreprise en Belgique, peut dénoncer la convention et ne sera plus tenu par les accords liant le personnel et Delhaize”, explique le permanent de la CNE.

D'après La Libre, pour les membres du personnel, cette réforme aura donc pour conséquence principale l'adaptation de leurs salaires et conditions de travail "dans le cadre d’une nouvelle convention collective, moins favorable à celle prévalant dans la grande distribution". Les syndicats s'attendaient à recevoir une mauvaise nouvelle ce mardi et des négociations tendues devraient commencer.

Une tendance pour l'avenir de la grande distribution

Le passage sous franchise de tous les magasins Delhaize démontre que le modèle hybride regroupant indépendants et intégrés est dépassé, analyse Pierre-Alexandre Billiet, économiste et CEO de Gondola, groupe spécialisé dans le secteur de la distribution. Cette décision dessine une tendance pour l'avenir de la grande distribution en Belgique, comme c'est déjà le cas en France.

Pour Pierre-Alexandre Billiet, le modèle de gestion hybride, qui entraîne différents types de gestion selon les magasins, est désormais révolu à cause de sa complexité pour les enseignes. "Tous les groupes de la grande distribution ont développé les franchises pour accélérer leur croissance mais c'est devenu compliqué à gérer. Par exemple, un employé qui travaille en soirée aura une compensation de 50% dans les magasins intégrés, mais ce n'est pas le cas chez les franchisés", explique-t-il. "Le secteur ne peut plus se permettre cette complexité dans un contexte de transformation de l'ensemble de la société de consommation, que ce soit au niveau de l'entreprise, du consommateur mais aussi de l'agriculteur."

L'économiste confirme par ailleurs que la rentabilité des magasins franchisés est plus élevée que dans le modèle intégré. Selon Pierre-Alexandre Billiet, les autres enseignes regarderont donc de très près comment Delhaize s'y prendra pour franchiser ses magasins. "Je pense que ça va en inspirer d'autres. Le modèle hybride est dépassé, les franchisés représentent le modèle d'avenir mais je ne suis pas non plus certain que ça convient à toutes les réalités."

Trouver des franchisés sera "un défi"

La direction de l'enseigne Delhaize est absolument certaine de trouver des repreneurs pour tous les magasins qu'elle veut passer sous franchise, soit 128. "Il n'y a pas le moindre doute" sur la question, selon le CEO Xavier Piesvaux.

Ces 128 magasins emploient actuellement 9.000 personnes. Delhaize n'a pas fixé de deadline pour le passage sous franchise. La phase d'information et de consultation va débuter mardi prochain. La direction s'engage à répondre à toutes les questions des représentants syndicaux, selon M. Piesvaux. Il se dit convaincu que tous les magasins trouveront preneur. "Nous avons un modèle performant de magasin franchisé. Plus de 80% de nos magasins sont gérés de la sorte. Ces magasins performent et gagnent des parts de marché, c'est une bonne garantie d'avenir pour les éventuels repreneurs."

Il pense notamment à des gérants indépendants qui souhaiteraient étendre leur réseau ou à des managers des magasins intégrés qui voudraient tenter l'aventure.

Cependant, la professeure de marketing à la KULeuven, Els Breugelmans, considère que trouver des entrepreneurs pour tous les magasins « sera un défi ».

Els Breugelmans estime que ce ne sera pas aussi simple parce que le marché est aujourd'hui "très concurrentiel" et que le contexte "n'est pas favorable non plus" pour reprendre un magasin. La Belgique compte en moyenne 3,4 magasins pour 10.000 habitants, contre 1,79 aux Pays-Bas par exemple. "La Belgique ne bénéficie pas d'un paysage facile sur le plan de la concurrence, il y a trop de magasins aujourd'hui", explique la professeure. "Et il y a aussi beaucoup d'achats frontaliers."

Elle souligne aussi le contexte économique avec les coûts élevés de l'énergie, des marges réduites et la forte inflation. "En termes de coûts, c'est un mauvais timing", conclut-elle.

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