Julien Doré: "Je voulais élargir la notion d'amour"

Ode élégante à la féminité généreuse et aux beautés de la nature, son dernier album “&” l’impose comme le leader de la nouvelle chanson française.

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C’est le début du mois de septembre 2016 et il fait encore (très) beau. Julien Doré nous a donné rendez-vous dans le salon du très cosy Hôtel de la Providence, perdu dans une ruelle pavée et discrète du 10e arrondissement de Paris. Il est tout de blanc vêtu et porte un casque noir. Il a garé son engin en face de l’hôtel, une bien plus grosse cylindrée que la mini-moto qu’il enfourche dans le clip Le lac pour rejoindre Pamela Anderson dans sa robe blanche immaculée au bord de l’eau. La dernière fois que nous l’avions rencontré, Julien (A)Doré venait de triompher aux Victoires de la musique 2015 dans la catégorie suprême: celle du meilleur artiste masculin.

Ce n’était que du bonheur, mais du bonheur humble à dimension humaine, se souvient-il. J’étais entouré de mes musiciens, j’étais bien. Durant la soirée, Étienne Daho m’a envoyé un texto pour me féliciter.  Après la cérémonie, il y avait une fête avec tous les gens du business. Moi, j’ai repris le bus qui m’attendait au parking de la Villette, à côté du Zénith. On a roulé de nuit jusqu’à Tours où je jouais le lendemain. Je me suis réveillé à l’aube à l’entrée de la ville avec une saine émotion, une saine fatigue et l’envie de réussir un bon concert.”

La tournée Love achevée (200.000 exemplaires vendus, 170 concerts), Julien Doré rêvait de partirpour aller voir plein de choses. Il n’est pas allé très loin. C’est dans un chalet de son enfance à Saint-Martin-Vésubie, dans les Alpes du Sud, à quelques heures de sa Camargue et de ses Cévennes natales, que Bichon a enregistré son quatrième album. Un disque intitulé “&”, une esperluette autour de laquelle on peut rattacher les mots qu’on veut. Homme & femme, Love & Hate, Je & vous, Les uns & les autres . Tout ça me convient parfaitement, acquiesce-t-il en posant ses lunettes de soleil sur la table.

Pourquoi être retourné sur vos terres pour enregistrer votre nouvel album?

JULIEN DORÉ - J’avais besoin de reprendre mon souffle, de digérer tout ce qui venait de m’arriver avec “Loveet de me sentir bien. J’avais besoin de quitter Paris, mais pour me retrouver dans un endroit rassurant que je connaissais. Et j’ai choisi ce chalet où j’ai séjourné plusieurs fois gamin.
 

Le rapport à l’enfance a toujours été très fort dans vos disques. Cette cabane a-t-elle fait ressurgir des souvenirs?

J.D. - Oui, ce chalet, ce lac, ces montagnes, ce “Beau” m’ont permis de me reconnecter à la nature et à mon enfance. J’ai le sentiment d’être né deux fois. Le 7 juillet 1982 quand je suis sorti du ventre de ma maman et en 2002 lorsque je me suis lancé dans la musique avec mon groupe de rock Dig Up Elvis. J’ai longtemps enfoui mes souvenirs de gamin et d’ado, comme si mon cerveau faisait la distinction entre le Julien Doré artiste et le Julien Doré “d’avant”. Ce retour dans cette région, avec mes musiciens et pour faire un disque, m’a permis de faire le lien entre ces deux “existences”. J’ai compris que je ne devais plus morceler mon parcours.
 

Dans un message posté sur votre page Facebook, vous évoquez ”une période de K.-O. qui a suivi le Love Tour. K.-O. physique ou mental?

J.D. - Les deux. Il faut se remettre dans le contexte. Quand je sors “Love” en 2013, c’est un peu l’indifférence autour de moi. On programme une petite tournée, nous partons sur les routes et puis les choses s’emballent: “Love” qui est certifié quadruple disque de platine, les dates qui se rajoutent à d’autres dans des salles de plus en plus grandes, la Victoire de la musique. Après deux ans sur un rythme effréné, je m’arrête en septembre 2015. Je suis crevé physiquement, je sens un climat anxiogène à Paris et puis arrive cette soirée du 13 novembre où tout s’écroule (le soir des attentats qui ont fait 130 morts - NDLR). Je me pose alors la question de savoir si monter sur scène a encore un sens. Je me dis: T u es chanteur, tu attires des centaines de personnes dans une salle. Ils tournent le dos à la porte parce qu’ils te font confiance et tout s’écroule en une fraction de seconde”.
 

Et c’est face à la nature que vous avez trouvé les réponses à vos angoisses?

J.D. - Oui, il me fallait créer un cocon pour que les vraies choses ressortent. Quand tu regardes des montagnes, un lac et des arbres centenaires qui étaient là avant toi et qui resteront là après toi, tu relativises. Tu oublies ton ego. Cette expérience m’a remis à ma place et a nourri mes chansons. Humblement, je voulais que ce nouveau disque serve à quelque chose. Qu’il élargisse la notion d’amour.
 

Vous êtes un utopiste?

J.D.  - Avec ce disque, je veux simplement dire qu’il y a de belles choses à vivre. Il y a deux façons de penser le monde. Moi, je choisis définitivement celle de l’utopie et d’une grande envie de vie. Je crois encore que tout ne sera pas aussi sombre qu’on le prédit. Dans Le lac, je chante: T’aimer au bord du lac, pourvu que les hommes nous regardent. Amoureux de l’ombre et du pire”. C’est une vision très romantique de la vie et de l’amour. Mais c’est mieux que de voir tout de manière radicale et négative.
 

Vous évoquez le monde de demain dans la chanson en italien Romy. Qui est-elle?

J.D. - Romy, c’est une fille de quatre ans à qui j’explique ce qu’elle devra affronter pour rendre le monde meilleur. C’est ma propre grand-mère qui a traduit la chanson en italien. Je trouvais que ça avait du sens. C’est le genre de discours qu’elle me tenait lorsque j’étais gamin. La boucle est bouclée.
 

Pamela Anderson dans le clip de la chanson Le lac, c’est comme Yvette Horner ou la Golf Bon Jovi de vos disques précédents: du premier degré?

J.D. - Bien sûr. Je me retrouve très bien dans le combat que Pamela Anderson mène pour la défense des animaux. Quand elle est venue parler de son association à l’Assemblée nationale, elle s’est fait siffler. Quelle bande de mufles! J’avais honte pour les députés. Mais si je lui ai demandé de jouer dans le clip, c’est surtout parce que c’est une femme et qu’elle incarne la sensualité. Quand j’ai envoyé le story-board du clip à ses agents, j’avais un peu peur car Pamela Anderson n’apparaît qu’à la fin de la chanson. Lorsqu’on s’est rencontrés, elle m’a dit que si elle avait accepté, c’était justement à cause de ça. Elle trouvait ça génial d’arriver au bout de l’histoire.
 

À partir de quand vous savez qu’une vidéo est réussie?

J.D. - Une vidéo doit me plaire et plaire aux enfants. Je me rends compte que les gosses perçoivent mes clips exactement comme moi j’ai voulu les réaliser. Chez eux, il n’y a pas d’analyse, de premier ou de deuxième degré. Le gamin, il dit: Ah oui, elle est bien cool ta mini-moto dans Le lac. C’est pratique pour aller dans la forêt. Et puis la femme à la fin, elle est belle et on sent que tu es amoureux d’elle”. Le gosse, il comprend plus vite parce qu’il va à l’essentiel.
 

Dans Moonlight Serenade, vous chantez: Il ne faut pas m’aimer, sinon je panique”. Autobiographique?

J.D. - C’est surtout vrai dans mes rapports sentimentaux, mais ça peut aussi s’appliquer à ma vie artistique. Quand on se sent aimé, il y a forcément une euphorie. Et chez moi, ça me stresse. Je me dis: Merde, ça va s’arrêter”. Je fais souvent ce cauchemar que tout ce que j’ai vécu ces dix dernières années ne s’est pas passé. Je me redresse en sursaut au milieu de la nuit et je flippe. Et puis je sors de mon lit, je me réveille pour de bon et je réalise que ce n’était qu’un mauvais rêve. Pendant la tournée Love, je demandais souvent à mon régisseur d’aller voir dans la salle s’il y avait du monde, alors que je savais très bien qu’on avait vendu tous les billets.
 

En 2017, cela fera dix ans que vous avez gagné la Nouvelle Star.  On vous a vu récemment très ému chez Ruquier en évoquant ce souvenir avec Virginie Efira.

J.D. - L’émotion, c’était dû à la présence de Virginie sur le plateau. Il y a une belle complicité entre nous. Virginie m’a toujours suivi après la Nouvelle Star. Je lui ai fait écouter mon nouvel album en avant-première. Par contre, j’avoue que je ne regarde pas souvent en arrière. Je m’intéresse plus à ce qui m’entoure et à ce qui m’arrive aujourd’hui. Par rapport au Julien Doré de la Nouvelle Star, je suis plus heureux aujourd’hui et surtout plus confiant.
 

Quelle a été l’étape la plus importante de votre parcours?

J.D. - Bien sûr la Nouvelle Star a déclenché pas mal de choses. Mais en tant qu’artiste, c’est avec mon deuxième album, “Bichon”, en 2011, que j’ai eu le sentiment de franchir une étape. C’est la première fois que j’assumais l’écriture et la composition. Même si je faisais encore appel à d’autres auteurs, je sentais que je commençais à être à la hauteur. Je me rendais compte que pour être sincère en concert, les mots que je chantais devaient venir de ma plume.
 

Quels sont vos modèles dans la chanson française?

J.D.  - Étienne Daho, Christophe, Francis Cabrel… Des artistes qui s’inscrivent dans la durée, la discrétion et l’humilité. C’est une espèce en voie de disparition. On pousse les artistes à balancer des trucs rapidement, à donner leur avis sur tout, à rebondir constamment dans l’actu. Si vous êtes auteur, compositeur et sincère avec votre public, c’est tout simplement impossible de sortir un album tous les six mois. Les Daho, Christophe et Cabrel, ils restent loin de la médiatisation, il puisent des choses, nourrissent leur écriture et tant qu’ils n’ont rien d’abouti à présenter, ils ne sortent rien et se taisent. Respect.
 
Le 09/07 aux Ardentes, le 06/08 au Ronquières Festival, le 23/11 au Palais 12, Bruxelles.
 

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