
Pourquoi nos enfants lisent-ils si mal ?

"La lecture, c’est la clé. Et on n’est nulle part ”, dénonce Dominique Lafontaine, professeure en sciences de l’éducation à l’ULg. “Les élèves qui ne sont pas lecteurs ont des difficultés partout ailleurs” , pose Sophie Gagnon-Roberge, enseignante et auteure de Propager le plaisir de lire chez les élèves . Ces constats sont aujourd'hui appuyés par les résultats d'une enquête qui classe au niveau de la lecture, nos élèves derniers de l'Union européenne.
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Dominique Lafontaine qualifie la situation de “très inquiétante”. Elle a cherché à comprendre ce qui ne fonctionnait pas dans notre enseignement en comparant notre situation à celle de trois contrées anglo-saxonnes qui ont de très bons résultats, les États-Unis, l’Irlande et l’Ontario (Canada). Dans ces territoires, les enseignants apportent de réelles stratégies. Par exemple, interrompre la lecture d’un texte pour demander à l’enfant ce qui va se passer après. Ils travaillent aussi sur des formats plus longs comme des albums ou des livres. Chez nous, c’est très rare.
Le temps consacré à la lecture est beaucoup plus long ailleurs. Dans nos écoles, l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire prend énormément de temps sans réels résultats. Le poids de la tradition joue. Les enseignants reproduisent ce qu’eux-mêmes ont connu. Et puis, c’est culturel. Les anglophones mettent d’abord en avant la communication et les contenus. Les francophones font de la forme la priorité. “On nous inculque la peur de l’erreur qui va nous coller aux basques pour toujours dès qu’on veut aligner deux phrases écrites. C’est un héritage du latin”, explique Dominique Lafontaine.
“Les grammairiens disent qu’on commence à apprendre les règles trop tôt. Du coup, ce n’est pas acquis et il faut répéter chaque année les mêmes choses. On perd beaucoup de temps”, explique l’experte de l’ULg. Nos enseignants n’ont pas été formés spécifiquement à l’apprentissage de la lecture. Les profs des pays anglo-saxons font des études beaucoup plus longues. Mais ce n’est pas tout. On a demandé aux enseignants combien d’élèves avaient besoin de remédiation en lecture et combien en recevaient. Dans les pays anglo-saxons, 75 % des élèves qui en ont besoin vont en remédiation. Chez nous, seul un jeune sur trois reçoit cette aide. L’habitude dans nos écoles est d’envoyer les mauvais lecteurs chez le logopède et non d’avoir des experts au sein même des établissements pour faire de la remédiation.
La formation continue de nos enseignants n’inclut rien d’obligatoire concernant la lecture. Les professeurs anglo-saxons, eux, ont une formation ciblée de 6 à 35 heures étalée sur deux ans. Or les méthodes d’apprentissage se sont considérablement développées ces 25 dernières années. Chez nous, les enseignants proposent la même méthode pour tous leurs élèves. Face aux enfants qui ont des difficultés, ils ont parfois trop tendance à se résigner et envoyer les parents chercher de l’aide à l’extérieur. “C’est un ensemble de facteurs qui expliquent qu’on est dans le rouge”, conclut Dominique Lafontaine.
Parmi les lecteurs très rudimentaires, on retrouve beaucoup d’enfants défavorisés, d’origine immigrée. Les inégalités sociales en Wallonie et à Bruxelles sont très importantes. La lecture devrait pourtant être la priorité. Tout le reste en découle. Un élève qui lit mal est handicapé dans l’acquisition de toutes les autres matières. Si lire est crucial, donner le goût de lire est l’étape suivante. Beaucoup de jeunes sont dégoûtés parce qu’ils ont l’impression que la littérature est déconnectée. Pour eux, le livre c’est l’école, dans sa version rigide. Or “quand on plante une graine de lecteur chez un jeune, c’est pour la vie”, estime Sophie Gagnon-Roberge qui a été prof de français dans le secondaire. Elle s’est rendu compte que les romans obligatoires ne faisaient pas de ses élèves des lecteurs. Alors j’ai demandé aux étudiants de me conseiller des livres et j’ai découvert une littérature extraordinaire. Il faut s’intéresser d’abord à ce qu’ils lisent et après seulement venir avec les classiques”, dit-elle. “Les jeunes lisent davantage que ce que les adultes pensent. Ils lisent juste autrement. On a eu peur que le numérique gagne mais ce n’est pas le cas. Les ados passent du papier au digital, de l’un à l’autre”. Dès lors, Sophie Gagnon-Roberge conseille d’entourer l’enfant de livres, à la maison, dans la classe, au quotidien. Pas seulement de l’emmener à la bibliothèque. “Il faut y aller à la passion. On ne devrait pas arrêter de leur lire des récits, même quand ils sont grands. Quand l’enseignant lit, même en 6e primaire, cela donne des expériences fascinantes”, s’enthousiasme-t-elle. “Il ne faut pas se contenter de leur dire qu’ils doivent lire. L’enfant doit voir l’adulte lire lui-même, au quotidien, et pas seulement dans son lit quand on ne le voit pas.”
Harry Potter, effet magique
On peut aussi encourager les jeunes à partager leurs livres, cela crée une communauté de lecteurs, cela donne une force. Cela montre que la lecture peut être “chouette et cool”. Le livre n’est pas seulement une activité solitaire mais aussi sociale. On trouve des communautés de lecteurs sur internet et des partages de lectures sur YouTube. Les booktubeurs font fureur sur le net avec leurs chroniques. Leur popularité est parfois bien plus grande que celle des auteurs eux-mêmes. On peut aussi suivre des lecteurs sur Instagram. Le numérique peut donc nourrir l’imaginaire des lecteurs.
“Pour amener un enfant à décoder, la fiction est essentielle parce qu’on y trouve de la passion. Plus on lit, plus on gagne en fluidité et mieux on connaît le monde”, ajoute l’enseignante passionnée. “Il suffit d’une expérience positive, avoir l’impression un jour que le livre nous avale, et ce sera gagné pour toujours. On y reviendra toute sa vie. Harry Potter a réussi à créer cette étincelle magique chez des millions de jeunes.” Le célèbre sorcier a aussi ouvert les yeux des adultes sur la littérature jeunesse et ses richesses. On trouve là des perles. Et le jeune public est exigeant: il doit accrocher à la première ligne, contrairement au livre pour adulte où il faut parfois attendre les 80 premières pages pour entrer dans le vif du sujet. Il y a d’ailleurs des adultes aujourd’hui qui continuent à lire des livres jeunesse parce qu’ils aiment ce genre-là.
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