
In The Fade, film choc sur les victimes du terrorisme

C’est un titre punk rock du groupe Queens of the Stone Age (In the Fade, qu’on pourrait traduire par ‘s’évanouir’) qui a donné son nom au film de Fatih Akin, bouillonnant cinéaste germano-turc (qu’on avait découvert avec le mélo déjanté Head-on, Ours d’or au festival de Berlin en 2004). “Quand vous perdez tout, vous disparaissez, vous vous évanouissez”, résume le cinéaste pour raconter l’histoire d’In the Fade. Ce film, son neuvième, est juste récompensé par le Golden Globe du meilleur film étranger, tandis que Diane Kruger remportait en mai dernier le Prix d’interprétation féminine au festival de Cannes pour le rôle de Katja, une jeune femme allemande qui doit survivre à la mort de son époux et de son fils tués dans un attentat à la bombe à Hambourg.
Fatih Akin se voit ainsi adoubé par Hollywood pour un thriller choc et ultra-contemporain: “Un film est toujours un reflet de la réalité, mon travail montre aussi un état du monde. Le fait d’être récompensé m’encourage à continuer dans cette voie”, déclare le cinéaste de 44 ans originaire d’Hambourg. D’autant plus que réaliser un film sur des attentats aujourd’hui n’est pas chose aisée - un récent projet de téléfilm pour France 2 sur les attentats du Bataclan du 13 novembre 2015 a dû être “ajourné” malgré la participation de Sandrine Bonnaire, devant une pétition demandant son retrait par respect pour les victimes, seulement deux ans après le drame.
Crime néo-nazi
Construit en trois parties (l’attentat, le procès, la vengeance), In the Fade est une adaptation des attentats néo-nazis qui ébranlèrent l’Allemagne au début des années 2000. La résonance avec les attentats islamistes contemporains est immédiate, ici dans la résilience qu’elle impose aux survivants. Très marqué par ce terrorisme d’extrême droite à caractère raciste, Fatih Akin a voulu fouiller dans les démons de l’Allemagne toujours hantée par des groupuscules néonazis comme le NSU (littéralement “Parti national-socialiste souterrain”), responsable de la mort dix personnes entre 2000 et 2007 dont huit personnes d’origine turque. Les démêlés retentissants du procès (dans un premier temps la police soupçonnait des règlements de compte de la mafia turque) inspirent en 2012 à Fatih Akin une première version du scénario dans lequel le personnage principal est un masculin. “En suivant le procès, je me suis rendu compte que la réalité était plus cinématographique. Le héros est devenu proche de l’une des victimes. Puis ils ont été deux, un homme et une femme. La femme était d’origine turque. Quand j’ai éliminé le personnage de l’homme, j’ai trouvé plus fort de faire de cette femme une Allemande mariée à un Turc (Numan Acar dans le rôle de Nuri, NDLR)”, expliquait le cinéaste au dernier festival de Cannes. Mais depuis 2012, Fatih Akin est rattrapé par la violence terroriste: “Depuis, il y a eu le Bataclan, Nice, Berlin, Istanbul ou le Pakistan, Manchester, c’est un film de notre époque, nous vivons une époque de guerre”, poursuivait Fatih Akin à Cannes.
Héroïne
C’est d’ailleurs sur la Croisette, par l’intermédiaire de la productrice Mélita Toscan du Plantier, que le cinéaste a rencontré son héroïne. L’actrice allemande n’avait jamais tourné dans sa langue maternelle et cherchait un rôle fort, de ceux qui font basculer une carrière. “Cela faisait longtemps que j’attendais ça. J’ai quitté l’Allemagne il y a vingt-cinq ans et rien ne venait; je n’y croyais plus. J’ai donc pris la décision d’aller moi-même parler à Fatih Akin pour lui dire que je voulais tourner avec lui. J’adorais Head-on et je voulais tourner en Allemand. Même si je ne pourrais plus vivre en Allemagne aujourd’hui, mes racines sont allemandes, je parle allemand toutes les semaines avec ma mère, c’est ma culture. En fait le personnage de Katja était déjà complètement en moi, il était là”, nous confie l’actrice depuis New York où elle vit désormais.
Ancienne mannequin révélée au cinéma français dans Mon idole de Guillaume Canet (avec qui elle fut mariée cinq ans) et à l’internationale par Quentin Tarantino dans Inglorious Bastards, l’actrice de 41 ans se dit “transformée” par ce film, tourné en chronologie réelle et dont elle habite chaque plan. “Ce film a changé qui je suis, Je me suis préparée pendant six mois, ce qui est beaucoup pour un rôle. J’ai rencontré de nombreuses familles victimes de terrorisme ou de crimes très violents. Ces histoires m’ont hantée très fort, plus que je ne pensais, et cela pèse encore aujourd’hui sur moi, tant l’empathie que j’avais pour Katja était forte”, précise l’actrice, en poursuivant sur l’immense “responsabilité de montrer la vie et la douleur des survivants”.
Sans maquillage, bardée de tatouages, traversant le film telle une guerrière vengeresse vêtue d’un simple blouson noir, repoussant les limites de ses rôles pour traquer le vécu de “ceux qui restent” après un attentat, l’actrice livre une performance hallucinée. Confrontée aux aléas de la justice, aux affres de la vengeance et du deuil impossible, remontant les racines d’un réseau d’extrême droite jusqu’en Grèce tandis que son mari Nuri est soupçonné d’accointances avec les réseaux islamistes, sa Katja marquera durablement les esprits. Si Outre-Rhin, In the Fade a également fait l’objet de certaines critiques politiques (regrettant notamment que le rôle principal n’ait pas été donné à une femme d’origine turque), on ne peut que saluer la performance de Diane Kruger, passant de la douleur à l’action, libérant toute sa puissance émotionnelle lors d’une scène finale dont on ne dévoilera pas l’effet de sidération. Depuis l’actrice s’est fait tatouer une ancre de Hambourg, en souvenir d’un tournage indélébile.
In the Fade. Réalisé par Fatih Akin. Avec Diane Kruger - 106’