
Fan-fictions : hommage ou violation de copyright ?

C’est en relisant le tome 6 de la saga Harry Potter (Harry Potter et le Prince de sang-mêlé) que Gianmaria Pezzato a l’idée de réaliser une fan-fiction sur "celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom" : comment Tom Riddle (Tom Jedusor dans la version française) est-il devenu Voldemort ? "Il y a beaucoup d’indices dans les livres qui n’ont pas du tout été transposés dans les films, mais beaucoup de choses ne sont pas dites. C’est l’histoire que nous voulions raconter : la montée du Seigneur des Ténèbres avant l’arrivée d’Harry Potter" explique l’équipe sur son site. Produit par Tryangle Films (une boîte de production indépendante créé par Gianmaria Pezzato lui-même et Stefano Prestia), le film a bénéficié d’un crowdfunding lancé sur Kickstarter en 2016. Bénéfice : 15 000 €, une somme dérisoire pour un film dont le résultat est pourtant très professionnel.
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Sans but lucratif
Lors de cette campagne de financement que Warner Bros., le propriétaire exclusif et détenteur des droits d’auteur et autres droits de propriété intellectuelle sur la série de livres et de films Harry Potter, a vent de ce projet. La firme a alors demandé son retrait de la plate-forme de financement participatif. Mais après une discussion entre les deux entreprises, Tryangle déclare : "La seule chose que nous pouvons dire, c’est que Warner Bros. nous laisse faire le film, sans but lucratif, évidemment". La principale raison pour laquelle Pezzato et son coréalisateur Stefano Prestia ont pu s’en sortir avec Origins of the Heir est donc leur "décision" de faire le film sans profits, et de le diffuser gratuitement sur YouTube.
Les fans vs la loi
Depuis des années, les fans de saga littéraires et cinématographiques écrivent ou tournent des fan-fictions dont la diffusion est aujourd’hui grandement facilitée par Internet. Pour les détenteurs des droits des franchises à succès telle qu’Harry Potter, les fan-films posent question. S’ils sont un bel hommage et une forme de publicité gratuite, ils peuvent néanmoins être vus comme une forme de concurrence. D’un point de vue juridique, copier, diffuser, faire des arrangements d’une œuvre protégée constitue une violation des droits d’auteur. C’est également le cas pour tout travail dérivé et basé sur une œuvre dont on ne détient pas les droits. La professeur de droit américaine Rebecca Tushnet s’est penchée sur la question des fan-fictions. Elle a notamment pu observer que les tribunaux sont de plus en plus enclins à "protéger les utilisations "transformatives" non autorisées contre les allégations de violation de copyright". Selon elle, "les affaires récentes soulignent que les détenteurs de droits ne peuvent pas supprimer les interprétations non désirées de leurs œuvres en invoquant le copyright". Les fan-fictions devraient en fait selon elle bénéficier du fair use, un ensemble de règles qui apportent des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre. Les Cours auraient alors tendance à appliquer le fair use lorsqu'elles sont face à un travail de transtextualité, c’est-à-dire quand ce qui est sous-entendu dans le texte original est ensuite mis en lumière par la fan-fiction.
Ce que disent les auteurs
La Pottermania n’est pas la seule à avoir entraîné les fans à écrire leurs propres histoires. L’univers de Star Wars est celui qui a le plus inspiré les créateurs au point que Lucasfilm, la société de production de George Lucas, crée en 2002 les Official Star Wars Fan Film Awards. Ce concours annuel inauguré en 2002 permet de présenter et surtout de reconnaître le genre croissant de films de fans réalisés par et pour les fans de la saga Star Wars. Rebaptisé Star Wars Fan Movie Challenge en 2007, il est cependant annulé cinq ans plus tard. De nombreux auteurs se disent favorables aux fan-fictions s’inspirant de leurs œuvres. C’est le cas de J.K. Rowling, qui ne s’est à ce jour pas exprimée publiquement sur ce film, mais aussi de Stephanie Meyer (Twilight qui a d’ailleurs inspiré Fifty Shades of Grey !), Meg Cabot (Journal d’une Princesse), Neil Gaiman (Sandman) et Joss Whedon (Buffy contre les vampires). A contrario, George R. R. Martin (Game of Thrones) a indiqué sa volonté de ne pas faire l’objet de fan-fictions. En février dernier, le fan-film satirique Power/Rangers avait quant à lui été retiré de Vimeo et de YouTube dans les trois jours suivants sa publication. Haim Saban, le propriétaire de la licence des Power Rangers, ne l’avait apparemment pas du tout apprécié. Normalement destiné aux enfants, le dessin animé avait en effet été transposé dans un monde empreint de violence et de sexe.
Pour ce qui est de Voldemort : Origins of the Heir, les fans inconditionnels d’Harry Potter peuvent donc se réjouir du résultat. Même si le film comporte quelques défauts (un jeu d’acteur moyen, une mise en scène caricaturale et une musique constante un peu énervante), sa qualité professionnelle est indéniable. Se déroulant dans les années 50, ce prequel non officiel raconte l'enquête de Grisha McLaggen, la descendante de Godric Gryffondor. Celle-ci tente d'élucider la disparition de Tom Elvis Jedusor et son implication dans le meurtre d'Hepzibah Smith. Un bon moyen de patienter en attendant Les Animaux fantastiques 2. Réalisée par David Yates et écrite par J.K. Rowling, cette suite est attendue le 16 novembre 2018 au cinéma.