

Jérôme Colin – Qu’on puisse renoncer à une soirée chez soi pour venir écouter un nouvel auteur, cela me rassure sur les gens. Une émission de radio, tu as au moins des réactions via les réseaux sociaux. Mais à la télé, tu n’es jamais en contact avec les téléspectateurs. La masse des émissions fait qu’on te reconnaît dans la rue, mais ça s’arrête à « j’aime bien ce que vous faites ». Quand tu parles de ton bouquin dans une bibliothèque ou dans une librairie, tu regardes les gens dans les yeux pendant deux heures. Il y a une vraie discussion. Jeune, j’ai voulu être comédien, peut-être pour vaincre un certain handicap social. J’ai eu la tentation de traîner avec plus de monde que mes deux copains. J’en ai vite guéri. Je préfère les échanges en tête à tête. Je fais de la radio comme ça, avec la personne en face de moi en studio.
C’était dingue. J’ai été sidéré par l’écho du livre chez les lecteurs. Des centaines et des centaines de messages qui me disaient avoir vécu des choses proches, que mon petit bouquin les avait fait réfléchir. Des gens qui retrouvaient leurs questionnements, des femmes qui ont quitté leur mari après avoir lu le livre… Les ventes, les émotions, les réactions, je n’avais rien imaginé de tout ça.
J’ai déjà reçu beaucoup de retours très forts. Je croise les doigts évidemment. Personne ne désire l’échec. Mais je n’ai pas le fantasme du succès déraisonnable. C’est sans doute une protection pour mon cœur de beurre. Si je n’espère pas trop, je ne serai pas trop déçu. Il y a beaucoup de moi dans ce roman. Si on le rejette, c’est du désamour quand même. S’il n’est pas lu, je ne partage rien. Or j’ai écrit des choses qui me touchent profondément parce que j’espère bien qu’elles toucheront les gens profondément, que les lecteurs vont sourire et s’émouvoir. Même un peu, ce serait déjà énorme.
Je l’adore parce que toutes les histoires qu’il raconte sont des histoires qui m’appartiennent. Le bruit de la terre sur un cercueil, je connais. Etre un homme qui aime les femmes, un homme qui a peur pour son enfant, un homme qui vieillit… Chez Philip Roth, j’ai trouvé l’humanité. Il explique ce que signifie être humain aujourd’hui, dans toute la complexité et toute l’absurdité de la vie. Il parle toujours de lui et, en même temps, nous raconte des choses qui nous sont communes. Cerise sur le gâteau, il a un humour décapant. Il commence là où, selon moi, il faut commencer: avec ses tripes sur la table. Mais derrière, c’est une œuvre d’art, parce que c’est un grand écrivain.
Roman
Le champ de bataille
Allary Editions, 208p.