
TheColorGrey, nouvel élu du hip-hop belge

Photos : Guillaume Kayacan
À l'instar de Woodie Smalls, de Coely ou encore de Blackwave., TheColorGrey incarne le renouveau du hip-hop made in Belgium. Ce nom de scène, il se l'est choisi après que son grand-père lui ait prêté un livre de Ferdinand Von Schirach dans lequel l'un des personnages affirme que les gens ne sont ni blancs, ni noirs : mais gris. Une affirmation qui fait écho chez le jeune artiste et qui s'en empare directement. Originaire d'Anvers, ce jeune auteur-producteur-interprète profite d'une voix groovy extrêmement envoûtante. Autour de lui, tout bouillonne : l'énergie créatrice de cette partie de la Flandre est extrêmement stimulante. Il côtoie de nombreux autres artistes, comme Woodie Smalls ou Wayi, « Même si on ne passe pas tout notre temps ensemble, comme le font les rappeurs de Bruxelles. J'ai l'impression que dès qu'ils postent une photo sur Instagram, ils sont au même endroit. On est soudés à Anvers, mais faut être rationnel, il y a aussi beaucoup de compétition. »
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Propulsé grâce à son morceau Sins en 2016 et le clip imparable qui l'accompagnait, Will Michiels de son vrai nom livre aujourd'hui un nouvel EP nommé rationnellement "For What It's Worth". Une pépite qui contient le très réussi You Got To Show Me. Aussi à l'aise à la production de morceaux R&B comme d'autres clairement plus hip-hop, ce jeune artiste de 23 ans continue de dévoiler l'étendue de ses talents. Quelques mois à peine après avoir sorti son album "Rebelation", précédé par l'EP "Do The Right Thing", TheColorGrey s'impose dans nos oreilles et dans nos playlist avec tellement d'aisance que cela en deviendrait presque déstabilisant. Il part à la conquête des festivals avec un live band pour la première fois, il sera notamment à applaudir du côté du festival Couleur Café cet été et au Botanique le 7 avril prochain.
Quelle était l'ambiance musicale qui régnait à la maison quand tu étais enfant ?
TheColorGrey – Ma mère écoutait de la musique congolaise, comme Koffi Olomide, Papa Wemba,... Mon père écoutait vraiment de tout : du rock, du reggae comme Bob Marley, mais aussi de la soul et du funk. Et puis il y avait mon frère qui n'écoutait que du hip-hop, du coup j'ai vraiment grandi dans un mélange sonore hyper exaltant.
Qu'est ce qui t'as donné l'envie de commencer à faire de la musique ?
TheColorGrey – Quand j'étais enfant, je regardais mon frère qui en faisait tout le temps. Il faisait ses propres prods et il rappait. Quand il a quitté la maison, il m'a laissé son petit synthé et mon père avait encore un tout vieil ordinateur à l'époque. Du coup j'ai commencé à faire des productions moi-même, même si le matériel n'était pas super performant. Je devais avoir 10 ans à l'époque, je crois.
C'est aussi à cet âge-là que tu as écrit tes premiers textes ?
TheColorGrey – J'ai commencé jeune aussi, mais un peu plus tard, je dirais aux alentours de douze ans. J'ai d'abord écrit mes premiers textes en néerlandais, je rappais dans ma langue maternelle. Mais je ne kiffais pas le résultat, je n'aimais pas trop la sonorité. Ça me touchait moins, même quand je regarde un film en néerlandais j'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui cloche. Du coup, j'ai fait le switch vers l'anglais, un peu après avoir écouté l'album The Marshall Mathers de Eminem. Après ça, j'ai vraiment voulu devenir un rappeur, je l'ai écouté en boucle pendant des mois. Quand j'ai eu 18 ans, j'ai posté mes prods sur Soundcloud et c'est là que tout a commencé.
Quels ont été les premiers retours, les premiers contacts que tu t'es fait dans le monde de la musique après avoir posté tes morceaux sur Soundcloud ?
TheColorGrey – Au début, j'ai été fort sollicité par des labels indie, mais j'ai toujours refusé de signer, je voulais rester indépendant et surtout, je voulais avoir complètement le contrôle sur ce que je faisais avant d'être rattaché quelque part. Quand j'ai sorti mon premier morceau clippé, Sins, j'ai reçu des demandes de major et c'est comme ça que j'ai atterri chez Warner. C'était le deal le plus intéressant pour moi, c'est grâce à cela que j'ai pu sortir mon premier album, « Rebelation ».
Tu as choisi d'appeler ton nouvel EP « For What It's Worth », qu'on peut traduire en français par « Pour ce que ça vaut ». Il y a deux lectures possibles à ce titre, qui peut sonner un peu négatif. Quelle est ta signification de ce nom ?
TheColorGrey – Quand t'es un artiste et que tu mets toutes tes tripes dans un projet, que tu bosses d'arrache-pied pendant des semaines et que comme moi, tu fais tes propres prods, c'est toujours assez angoissant de sortir cet EP. Tu te demandes comment il va être accueilli par les gens, tu ne sais jamais si ce nouveau projet va te faire évoluer, va faire monter ta carrière au prochain niveau. Je ne sais même pas si ça va plaire aux gens. Pour moi, c'est un peu ça « For What It's Worth » : je fais ce que je peux, je donne tout, et puis on verra bien.
On retrouve un côté très mélancolique dans tes morceaux, notamment sur le titre Don't Wonder où tu dis « J'ai l'impression que rien n'a vraiment d'importance »...
TheColorGrey – Oui, c'est quelque chose qui fait profondément partie de moi. En fin de compte, quand tu regardes ce qu'on est dans l'univers, ça ne représente rien. Je réfléchis énormément au sens de la vie en règle générale, mais je n'ai pas envie de me demander en permanence pourquoi les choses se produisent, donc je fais avec. J'ai parfois l'impression d'être impuissant face à l'état du monde, donc je n'attends rien de personne.
Ton premier album s'appelle « Rebelation » parce que tu ne supportais pas l'autorité établie, comme celle des professeurs quand tu étais à l'école. C'est encore le cas aujourd'hui ?
TheColorGrey – A l'école c'était vraiment un problème, parce que depuis que j'ai douze ans, je sais où je veux aller. J'allais soit faire du foot, soit faire de la musique. Il n'y a rien d'autre qui m'intéressait. La plupart des profs à l'époque me disaient que c'était une mauvaise idée de carrière, que je n'allais jamais réussir là-dedans. Ils n'y croyaient pas du tout et ça m'énervait qu'on pense que c'était impossible. Du coup je n'étais vraiment pas un élève assidu.
A quel moment t'es-tu dit « Ok, je veux vivre de ma musique ? » Est-ce que tu as formulé clairement cette envie ?
TheColorGrey – En fait mes parents n'étaient pas vraiment au courant. J'étudiais le journalisme à Anvers et j'habitais dans un kot. Ils croyaient vraiment que j'allais me lancer là dedans, que j'étais à fond dans mes études. Les premiers mois, c'est ce que je faisais, puis je me suis lassé, je n'avais qu'une envie : faire de la musique. Et c'est à partir de ce moment là que je me suis lancé à fond et que j'ai sorti Sins. Quand la vidéo est sorti, j'ai enfin dis à mon père « Écoute, j'ai sorti un morceau et je vais arrêter mes études. » C'est comme ça qu'ils l'ont appris. Mais ils étaient assez cool, ils m'ont dit qu'ils me soutenaient quoi qu'il arrive et ils viennent voir mes concerts de temps en temps.
Est-ce qu'il y a un titre, sur ce nouvel E.P., qui est plus personnel que les autres ? Qui te tiens particulièrement à cœur ?
TheColorGrey – Comme sur mon premier album « Rebelation », le premier morceau de cet E.P. est plus introspectif, très harmonieux. C'est aussi quelque chose qu'on retrouve dans Swerve et dans Jamaica, mais pour le reste, c'est juste une vibe. C'est un E.P. qui est fait pour s'écouter sans prise de tête.
C'était comment, ta première scène ?
TheColorGrey – C'était à Anvers, il y avait dix personnes à tout casser. J'étais extrêmement stressé. J'avais fait mon soundcheck et puis j'ai été au Night Shop avec mon DJ pour acheter plein de bières et de l'alcool pour me détendre. J'ai fait mon show et je crois que je n'ai pas levé une seule fois les yeux du sol, je regardais mes pieds, c'était atroce. J'étais extrêmement timide à l'époque.
Est-ce que tu te souviens de la première fois où tu as entendu un de tes morceaux à la radio ?
TheColorGrey – Oh oui ! J'étais avec tous mes potes dans une voiture, on allait à un festival de cinéma à Louvain avec mon ami Anthony qui s'est occupé de la plupart de mes vidéos. Et tout d'un coup, on a entendu Sins à la radio. Y'a un de mes potes qui m'a fait « Mais c'est toi ça, non ? » On n'en revenait pas. Je n'étais pas du tout prévenu. Du coup on a monté le volume à fond. Je me souviens que je regardais toutes les voitures en me disant que les mecs à côté écoutaient peut-être aussi la radio, qu'ils écoutaient mon titre. C'était dingue.