
Charles Pépin: "Rencontrer la tendresse du monde"

De Socrate qui proposait à ses disciples de trouver les réponses à leurs questions en eux, à Kant ou Diderot qui martelaient ”Osez écouter votre entendement” ou Nietzsche et son ”Deviens ce que tu es”, les plus grands philosophes ont invité à la confiance en soi. Un concept que se charge d’expliciter Charles Pépin, un philosophe qui considère qu’en soi la philosophie est une forme de psychologie.
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La confiance en soi s’acquiert au plus jeune âge. Un enfant sans les bonnes bases peut-il se rattraper ?
Charles Pépin - La confiance s’acquiert tout le temps et peut également tout le temps se perdre. Cet enfant va pouvoir compenser par d’autres relations, qu’il s’agisse d’amis, de professeurs…Toute sa vie il pourra recréer les bases de la confiance.
Vous préférez parler de la confiance en la rencontre entre soi et le monde plutôt que de confiance en soi. Pourquoi ?
L’expression de confiance en soi nous induit en erreur, elle est mensongère. La confiance en soi est toujours la confiance en plus que soi: les autres, le monde que je rencontre, l’action elle-même. Souvent, dans le développement personnel d’aujourd’hui, on nous dit qu’il faut agir pour prendre confiance en soi, mais on ne nous dit pas pourquoi. On ne fait pas de philosophie de l’action et c’est cela que je fais dans mon livre. J’explique que l’action n’est pas simplement un terrain d’entraînement pour la compétence ou pour la volonté. Elle est plus que ça, elle est l’occasion de rencontrer la tendresse du monde, elle est l’occasion de rencontrer les autres et des ressources insoupçonnées. La confiance en soi est autant une confiance en l’action, en le monde et en les autres.
Pour être confiant, vous insistez sur la nécessité de se fier à son intuition et d’apprendre à s’écouter.
Absolument. L’intuition, c’est le résultat d’une maîtrise et d’une expérience. Sauf que si je ne suis que dans la maîtrise, c’est que je n’ai pas confiance en moi et que je veux toujours me rassurer. Mais la vie est plus compliquée, elle sait me surprendre. Elle comporte des imprévus et des risques. Je pense que la confiance en soi, c’est le juste milieu entre la maîtrise et l’abandon.
Nous avons perdu le contact avec le faire le plus élémentaire.
L’évolution de la société nécessite aujourd’hui d’avoir confiance en soi. Et avant ?
D’abord, notre modernité depuis le XVIIIe nous demande d’avoir confiance en nous. Avant, il n’y en avait pas besoin parce qu’on restait toute sa vie dans la même classe sociale, le même village, et que les anciens savaient tout. D’un côté la confiance en soi est un idéal moderne, mais de l’autre notre modernité nous retire les fondements de cette confiance en soi. C’est très paradoxal. Pourquoi? Parce que nous avons perdu le contact avec le faire le plus élémentaire. D’autre part, les réseaux sociaux distillent le poison de la comparaison. Comment voulez-vous avoir confiance en vous lorsque vous faites défiler avant de vous coucher des images du triomphe des autres dans tous les pays, sans aucune distinction sociale.
Vous insistez sur l’importance des autres et citez bon nombre d’exemples, de George Sand à Yannick Noah, tout en différenciant l’admiration et la vénération…
L’admiration nous permet de prendre confiance en nous au contraire de la vénération. Parce que quand vous vénérez quelqu’un, vous êtes en position d’infériorité. Vous êtes dans la soumission face à quelque chose qui est plus grand que vous. Mais quand vous admirez quelqu’un, vous admirez sa singularité. Et ça vous prouve qu’il est possible de développer sa singularité et donc cela vous donne confiance. Raison pour laquelle il est dramatique que notre monde actuel nous donne à admirer des êtres médiocres, mis en lumière par des phénomènes de buzz. Nous manquons d’exemples inspirants.
Si nous avions toujours confiance en nous, nous serions arrogants et suffisants.
Ces phénomènes de buzz font le quotidien de la jeune génération. Comment dès lors lui donner confiance en elle ?
L’omniprésence de ces figures de la médiocrité sape la confiance en soi. Mais rien n’est perdu pour ces jeunes. Il faut les lancer dans l’action, les convaincre que c’est en y allant qu’on devient prêt, leur rappeler la capacité libératrice des choses manuelles. Et leur rappeler que la confiance en soi se conquiert dans la relation.
Peut-on affirmer à un moment de sa vie qu’on a réellement confiance en soi et nul besoin d’évoluer ?
Bien sûr que non. Cette conquête est à revivifier, réalimenter. Elle n’est jamais terminée. Ce serait une terrible erreur de croire que c’est acquis. D’ailleurs, la vie se charge de nous rappeler à l’ordre avec nos échecs, désillusions, blessures d’ego… C’est ça qui est beau aussi. Si nous avions toujours confiance en nous, nous serions arrogants et suffisants. Et nous ne nous ouvririons pas à la rencontre des autres et du monde. La confiance est une sorte de voile qu’on tisse et retisse sans cesse.
Si vous deviez donner un synonyme au terme de confiance en soi, quel serait-il ?
Je dirais “liberté”. Quand on n’est pas sûr que cela marche mais qu’on y va quand même. Quand on décide dans l’incertitude. Avoir confiance en soi, c’est avoir réussi à apprivoiser sa liberté.