

Septante-cinq minutes. C’est le temps que William Kalubi, alias Damso, nous a consacré. Organisé par l’attachée de presse de sa maison de disques et son manager, qui est en l’occurrence une manageuse, l’entretien s’est déroulé dans le jardin ixellois des studios ICP où l’artiste d’origine congolaise a enregistré la majeure partie de “Lithopédion”. À l’image de ce troisième album, qui pointe en tête de tous les référencements (Ultratop, platesformes de streaming, ventes en ligne) depuis sa sortie ce 15 juin, Damso ne joue pas de personnage en interview et se révèle tel qu’il est. Sincère, honnête, intuitif, intelligent, il n’élude rien, refuse l’idée d’être un porte-drapeau d’une génération et ne tombe jamais dans le règlement de comptes.
DAMSO - J’avais le titre. Pour le reste, c’est le son qui doit me parler, m’émouvoir, m’emmener quelque part. Tout part de là. Si un son me touche, je le garde et le texte vient très vite.
La naissance de mon fils a changé ma perception du monde. Pour la première fois, j’ai ressenti qu’il y avait un être humain qui était plus important que moi. Ça m’a aidé à mieux aborder les choses. Avant, je parlais toujours à la première personne du singulier. Ici, j’utilise “tu”, je peux l’éduquer, lui expliquer. Avant l’arrivée de mon fils, je n’avais pas de “meilleur pote”, de “petit frère” ou de “petit cousin” à qui m’adresser dans une chanson. C’est nouveau pour moi, c’est une belle sensation dans l’écriture qui ouvre les horizons.
Je crois que l’explication est à nouveau à chercher dans ma paternité. Mon premier album, “Batterie faible” était plus agressif. Je sortais alors d’une grosse galère, j’avais beaucoup de choses sur le cœur, j’étais en colère. Avec “Ipséité”, c’était plus nuancé, comme si j’étais entre deux périodes. Je me découvrais avec le succès. Aujourd’hui, je suis père, plus posé. J’ai accepté pas mal de choses. Je suis serein.
Oui. Quand on est un artiste hip-hop, c’est difficile de se faire accepter pour ce qu’on est. Trop souvent, les gens jugent sans même essayer de comprendre. Et quand vous avez du succès, c’est encore pire.
C’est juste un constat. Avec l’affaire de l’hymne national, j’ai divisé le pays. Il y avait des pro-Damso et des anti-Damso. J’ai été insulté par des gens qui en ont aussi profité pour dénigrer le hip-hop.
Cette affaire n’a pas changé ma vie. Je l’ai prise avec légèreté. Ça m’a fait marrer. Je rappelle que la polémique n’est venue que d’un côté. Des médias et des personnes ont commencé à dénoncer un rappeur qu’ils n’écoutent pas et une musique dont ils ne maîtrisent pas les codes. Je pense tout simplement qu’on ne parle pas la même langue. C’est tout. C’est “eux” contre “nous”. Sur les forums Internet, les gens se lâchaient et ça tombait parfois dans le racisme primaire. La masse rend les gens bêtes. J’ai préféré ne pas répondre et prendre du recul. Je me suis concentré sur ma musique. Par rapport aux réactions des associations féministes, j’ai envie de comprendre ces femmes qui me critiquent et me traitent de misogyne, ce que je ne suis pas. J’ai commencé à lire des livres sur le sujet. C’est un effort qu’elles n’ont pas essayé de faire à mon égard.
Non, la Belgique ne m’a rien fait. Ici, c’est une institution qui a réagi, suite à des pressions politiques et aux sponsors. C’est devenu énorme. Il y a un pote qui m’a dit: “On parle de toi dans le New York Times”. Ça m’a fait une belle pub.
Bien sûr. Je vais supporter les Diables Rouges. J’ai mon maillot.
J’étais non seulement mauvais, mais lui était très fort. Je me rendais compte qu’il y avait encore du boulot. Alors je me suis entraîné à fond. J’écrivais et quand il venait me provoquer en freestyle, je faisais celui qui s’en foutait, car je ne me sentais toujours pas à la hauteur.
Je suis maître de cérémonie. C’est moi qui organise la compétition (rire).
Ça n’a pas de signification pour moi. Je suis content, mais sans plus. Je ne suis pas dans l’ego trip. Je fais appel à des beatmakers pour mes sons, c’est un photographe qui fait ma pochette, un réalisateur qui s’occupe de mes clips… Je devrais faire seul tout le boulot pour me dire “je suis le vrai numéro un, je vous nique tous”. Mon but, c’est de faire de la bonne musique qui touche les gens. Je n’ai plus cette ambition d’être le premier. Mais d’un autre côté, j’ai déjà été premier. Je sais ce que c’est. Financièrement, c’est très bien, mais ça apporte aussi pas mal de problèmes. Mais la vraie question est de savoir si ça rend plus heureux. Honnêtement, je ne peux pas encore répondre.
Non, je m’en fous. Le seul truc qui me dérange, c’est qu’ils mettent une catégorie urbaine ou hip-hop pour se donner bonne conscience.
Je me suis fait tatouer le mot “sérénité” sur la main. Je le regarde souvent quand je sens que ça monte en moi. Mais je ne vais surtout pas m’énerver pour ce qui touche à la musique. Se justifier, c’est montrer à tous ces gens qui n’aiment pas le hip-hop qu’on a besoin d’eux. Mais la réalité montre que nous n’avons pas besoin d’eux. Nous remplissons des salles sans ces gens-là, nous avons des fans, nous faisons de l’argent, nous créons de la bonne musique et nous suscitons des émotions. Pourquoi devrait-on aller mendier et expliquer que le rap c’est bien? Le hip-hop est la musique la plus écoutée. Ce sont eux qui sont en retard, pas nous. Les jeunes sont avec nous et les jeunes, c’est l’avenir. Ils devraient peut-être plus s’y intéresser.
Non. On ne trompe pas son premier amour. Je ne vais pas changer. Ce sera à mon fils de s’adapter. Mon rôle sera de l’éduquer pour qu’il comprenne. C’est la seule personne avec qui je vais débattre de la vulgarité. Mais la vulgarité dans mes textes, ce n’est pas pipi, caca, putain. C’est aussi la technicité dans l’écriture et le rythme dans les rimes.
C’était un texte sur les doigts. Le majeur qui était adulte, le pouce qui donnait un “coup de pouce”, l’annulaire qui était marié. Je jouais déjà beaucoup avec la signification des mots.
Je suis un mec silencieux et plutôt solitaire, ça tourne toujours beaucoup dans ma tête. J’aime aussi observer tout ce qui se passe autour de moi, je suis curieux. Quand je ne comprends pas, ça me chiffonne et ça m’interpelle. Écrire me permet de comprendre.
J’aurais aimé qu’on me dise: “Fais ce que tu aimes”. On ne me l’a jamais dit, mais je l’ai fait. Quand on fait ce qu’on aime, on ne peut pas se tromper.
Je crois en Dieu. Je crois en une force supérieure qui est au-dessus de nous. Pour moi, la vie, c’est un jeu d’échecs entre Dieu et le Diable. Dieu a gagné d’avance, mais le Diable ne le sait pas. Nous, on est au milieu, nous sommes des pions.
Misanthrope, c’est un peu fort comme terme. Je dirais juste que je suis un homme réaliste et que ce qu’on me propose comme réalité n’est pas forcément beau à voir. Et j’écris dessus. Si demain ce qu’on me propose comme réalité est plus beau, mon écriture changera.
J’étais chez moi avec mon fils. J’ai écouté la même mélodie huit heures d’affilée en le regardant jouer en voyant des gens marcher dans la rue. C’était comme si je rentrais dans le cerveau de chaque personne et j’ai commencé à écrire sur la nature humaine et sur ce qu’elle pouvait avoir de plus dérangeant.
Je n’ai jamais été confronté à la pédophilie. La chanson, je ne l’analyse pas. Je m’interroge et je me demande: “À qui la faute?” La nature humaine peut être incroyablement cruelle. Des Julien, il y en a partout. En parler, c’est montrer que ça existe et qu’il faut travailler à des solutions, notamment la prévention. Si demain mon fils n’est pas au courant et pense que tout est beau et gentil dans le monde, il est plus en danger. Quand j’étais à Kinshasa, il y avait un couvre-feu au coucher du soleil. La nuit, des bandits enlevaient des mômes dans mon quartier pour en faire des enfants soldats. C’était connu, mes parents me mettaient en garde. Pas pour me faire peur, mais pour me dire que ça existait. Ma seule crainte avec Julien a été de ne pas choisir les bons mots. Pour désamorcer le truc, j’ai introduit une voix de femme et la mélodie est très pop.
J’ai appris que je pouvais être heureux alors qu’avant j’avais fait une croix dessus. Jusqu’à présent, le plaisir n’était que dans la musique. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il y a d’autres plaisirs et je veux en profiter.
Tous les moments que je passe avec mon fils. Quand je suis avec lui, le temps s’arrête. Le reste n’existe plus. Je coupe mon téléphone, il ne faut pas qu’on me dérange.
J’y pense tous les jours. Je trouve que ça n’a plus de sens, c’est une course sans fin. J’ai découvert la musique sous pas mal de formes, il est temps que je découvre le bonheur sous pas mal de formes. À la fin de la tournée, je prends un billet d’avion et je pars avec mon fils. Si j’ai un album en tête, je reviens. Si je n’ai pas d’album, je ne reviens pas.
Le 29/6. Couleur Café, Bruxelles.
Le 5/7. Les Ardentes, Liège.
Le 24/8. Cabaret Vert, Charleville-Mézières.