Bruce Springsteen: le dernier héros américain

"Western Stars", son nouvel album solo qui sort ce vendredi 14 juin, achève un long travail de réflexion entamé avec son autobiographie Born To Run, parue en 2016 et désormais disponible en Poche.

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Chroniqué dans le Moustique de cette semaine, le magnifique nouvel album de Bruce Springsteen "Western Stars" est la dernière salve solitaire du Bruce Springsteen avant son retour discographique et scénique avec son groupe E Street Band programmé pour 2020. Et même si le Boss ne le présente pas de cette manière, cette collection de chansons écrites comme un carnet de voyages complète un long travail de réflexion sur lui-même. Après ses 236 (!) représentations intimistes à Broadway, le passionnant documentaire On Broadway (toujours visible sur Netflix) et son autobiographie "Born To Run" parue en 2016, l’artiste âgé aujourd’hui de soixante-neuf ans baisse la garde et sort encore de sa zone de confort avec "Western Stars".

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Voici ce que nous écrivions dans nos pages en septembre 2016 à la sortie de l’autobiographie Born To Run, désormais disponible en Poche. Une réflexion qui permet de mieux comprendre la démarche de Springsteen avec son nouvel album solo...

La genèse d’un chef

C’est sa chanson la plus longue: cinq cents pages. C’est celle qui lui a pris le plus de temps: sept ans d’écriture. Born To Run, l’autobiographie de Bruce Springsteen est un livre à son image, sincère et droit qui s’apprécie comme un grand roman américain. Rien d’étonnant pour un artiste dont le répertoire s’est déployé au fil des ans dans une dimension romanesque qui fait référence aux grands thèmes de la littérature américaine. Les connaisseurs le savent, mais Born To Run est un titre emprunté à celui d’un fameux album, le troisième dans la chronologie des sorties qui, en 1975, place Springsteen à l’avant- plan sur l’échiquier international. À l’époque, les médias spécialisés, qui ont encore un réel poids sur l’industrie de la musique, voient en lui le futur du rock. Ils soulignent la qualité d’écriture d’un disque s’ouvrant sur Thunder Road, l’histoire d’un homme qui cite Roy Orbison et promet à sa petite amie la rédemption des âmes tristes et un peu de la terre promise si elle saute dans sa voiture.

Tout n’est pas dit dans Thunder Road mais presque… Roy Orbison, immense influence de Springsteen, la voiture comme symbole de la liberté des pauvres, l’amour avec les filles du coin, pas des bombes (“You ain’t a beauty, but hey you’re alright”) mais passables. Born To Run (la chanson) fait mieux apparaître encore les obsessions du chanteur, obnubilé par le désir de faire exploser le cadre des petitesses provinciales, à la recherche d’un rêve qui ne se laisse pas attraper (“On the street of a runaway american dream.”) Cette musique, qui raconte avec densité les amours et l’ennui de la banlieue, n’aurait sans doute pas été la même si Springsteen avait suivi ses parents lorsqu’ils partent s’installer en Californie. À 18 ans, il décide de rester à Freehold, ville du New Jersey où il vit de petits boulots et fait de la musique dans des groupes du coin. Fils d’un ouvrier et d’une secrétaire, élevé dans une famille catholique, il mettra un point d’honneur, de chanson en chanson (Promised Land, The River, My Hometown) à faire la chronique de cette vie prolétaire, menée entre le travail à l’usine, la fatigue et les passe-temps de fin de semaine. Dans cet univers sans grande joie où chaque destin est tracé, il raconte comment il a vécu ce qu’il appelle “le big bang”: l’apparition d’Elvis Presley à la télé.

Garçon romantique à l’allure de bad boy et musicien qui aime déjà faire danser les filles, Springsteen – italien de par sa mère – est d’une beauté sidérante. Dans It’s Hard To Be A Saint In The City, sur le premier album “Greetings From Asbury Park, NJ” (il a alors 24 ans), il décrit un homme “à la peau de cuir et au regard diamant de cobra”, sorte de double romanesque qui servira à lancer le mythe du Boss. C’est ainsi – le patron – que ses musiciens l’appellent lorsqu’en fin de mois vient le temps de la paye qu’il distribue lui-même.

Cette Amérique qu’il n’a jamais cessé d’ausculter

La comparaison avec Dylan, facile et pas très pertinente, sera encombrante pour celui qui ne se reconnaît pas vraiment dans la tradition folk et veut injecter à ses compositions un souffle soul qui fera la magie et la puissance de sa musique. Sa force, mais aussi sa différence, Bruce Springsteen s’offrant le luxe d’imposer son personnage et ses chansons en pleine période punk. En 1977 sort “Darkness On The Edge Of Town”, disque magnifique et sombre, recueil d’histoires et de sons à mille lieues de ceux explorés par la nouvelle scène newyorkaise incarnée par Blondie, The Ramones, Television et Patti Smith. À cette dernière, il livrera toutefois son plus grand tube, Because The Night en 1978, date à laquelle il écrit aussi Fire, énorme succès des Pointer Sisters.

En 1982, la veine littéraire de Springsteen au service d’une conscience sociale est au centre de “Nebraska”, disque acoustique et dépouillé à travers lequel il interroge la perte de dignité des hommes (illusions en fuite, chômage, criminalité…) et leur place dans la nature. La machine explose deux ans plus tard avec “Born In The U.S.A.”, l’album grand public parti à 20 millions d’exemplaires. La chanson titre, confondue avec un hymne patriotique (Ronald Reagan s’en servira durant ses meetings), est pourtant un compte rendu épique sur les retombées de la guerre du Vietnam qui fracturent la société américaine. Cette Amérique qu’il n’a jamais cessé d’ausculter depuis les rues de son bled du New Jersey, au centre de son répertoire et où les courses de voitures font l’événement, jusqu’aux tours du World Trade Center qui s’effondrent.

Des années d’observation qui ont fait mûrir l’homme et l’artiste, poussant toujours plus loin la dimension morale d’une écriture au service de chansons que le public accueille avec respect. Quarante-sept ans séparent la parution du premier album de Bruce Springsteen de "Western Stars". Et pourtant il Il s’agit bien du même homme.

Bruce Springsteen, Western Stars, Sony. (CD, vinyle, sur toutes les plateformes d’écoute dès ce vendredi 14 juin).

Bruce Springsteen, Born To Run, Poche,  752 p

Rendez-vous en page 60 dans le Moustique de cette semaine pour en savoir plus sur "Western Stars".

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