
Rock Werchter 2019 : un Tool rare et précieux

L’art de se faire attendre. Voilà douze ans que Tool annonce sa résurrection par communiqués interposés. "10,000 Days", le dernier album du groupe, remonte à 2006. Depuis, chaque musicien y va de sa petite déclaration. Malgré les nombreux retours annoncés, la formation américaine est restée dans l’ombre... Viticulteur et roi du verger, le chanteur Maynard James Keenan a longtemps repoussé l’échéance, préférant enquiller les bouteilles de vin que les heures dans un studio d’enregistrement. Dans l’attente du retour espéré, les fans ont eu le temps de réviser les classiques "Undertow", "Ænima" et "Lateralus". Et puis, comme tout arrive à point à qui sait attendre, deux nouveaux morceaux (‘Descending’ et ‘Invincible’) sont venus raviver la flamme et confirmer la rumeur : un cinquième album de Tool est, bel et bien, au planning – il est prévu pour le 30 août. De quoi sortir de sa tanière et s’emparer de la Mainstage de Rock Werchter.
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Deux nouveaux titres
Discret dans la vie, effacé sur scène, le groupe préfère déployer sa puissance musicale que de colporter son image de marque. En berne, les écrans géants broient du noir et diffusent quelques visuels cafardeux. Les caméras sont restées coincées dans les loges. Pour apercevoir Tool au complet, il convient donc de s’approcher au plus près de la scène. Facile à dire. Mais à Werchter, pour espérer se glisser aux avant-postes, il faut passer à temps entre les portiques de sécurité. Flèches vertes pour les chanceux, croix rouges pour les autres. Planqué à droite du batteur Danny Carey, Maynard James Keenan est l’antithèse du star-système. Crête iroquoise dressée sur la tête, pantalon écossais, le chanteur déserte l’avant-centre pour mettre sa voix au service de la performance irréprochable de son groupe. Aux extrémités de la scène, le guitariste Adam Jones et le bassiste Justin Chancellor perforent la nuit de salves électriques, musclées, chirurgicales. Un truc puissant, unique. Les nouveaux Descending et Invincible s’imbriquent parfaitement aux vieux rouleaux compresseurs Ænema, Schism ou l’ultime Stinkfist. Impeccable, la prestation confirme le savoir-faire d’un groupe intègre, totalement focalisé sur l’essentiel : la musique. Vivement le prochain concert…
Weezer, retour vers le futur
Avant Tool et sa pause-carrière de douze ans, c’est un autre revenant qui s’est emparé de la Mainstage en ce vendredi caniculaire: un temps parfait pour les Californiens de Weezer. La dernière fois que les Américains ont posé leurs guitares en Brabant flamand, c’était en 2001. À l’époque, tout était différent. Il était à peine question de téléchargements et Weezer écrasait la concurrence pop-rock avec, dans ses valises, trois disques bourrés de mélodies increvables: l’album bleu, l’imparable "Pinkerton" et l’album vert. Dix-huit ans plus tard, c’est une autre histoire. Rivers Cuomo et les siens ont poursuivi la route, chargeant leur remorque de chansons futiles et d’une flopée de redites discographiques. De quoi écorner la légende et malmener les souvenirs d’une jeunesse flamboyante. Sur scène, pourtant, les quatre musiciens ne s’y trompent pas. Conscients de leur âge d’or, les garçons attaquent avec les hits du premier album: Buddy Holly, My Name Is Jonas et Undone - The Sweater Song. Un parfum nineties flotte dans l’air de Werchter. Bob blanc sur la tête, Rivers Cuomo pose ses lunettes derrière le micro, faisant tourner les bons vieux tubes (Beverly Hills, Hash Pipe, In the Garage, The Good Life). Comme en 2001, le set du jour se concentre sur les trois premiers albums. Et quand Weezer ne déballe pas ses vieux trésors, c’est pour ressortir d’autres chansons du placard: des reprises de a-ha (Take On Me), Toto (Africa’, The Turtles (Happy Together) ou Green Day (Longview). Un peu kitsch et pas vraiment originale, l’approche des Californiens a le mérite de faire un bien fou. Parfaitement maîtrisées, les reprises font leur petit effet: la foule chante en chœur et frappe dans les mains. Tout le monde est content. Weezer récolte encore de grands sourires avec la ballade Island in the Sun et le classique Say It Ain't So. Le titre le plus récent de la setlist remonte à 2009. Un petit aveu de faiblesse. Totalement pardonné.
Khruangbin à l’apéro
Khruangbin ressemble au nom d’un plat traditionnel vietnamien. Pourtant, il s’agit bien d’un groupe texan ouvert à toutes les musiques de la planète et au meilleur de la culture soul-funk. Deuxième album du trio, le tubesque Con Tondo El Mundo explore l’Asie, l’Afrique ou le Moyen-Orient entre groove éternel et mélodies modernes. Perruques vissées sur la tête, la bassiste et le guitariste répondent aux rythmiques métronomiques du batteur en aiguisant leurs pulsions instrumentales sur des mélodies passe-partout. Idéale pour le BBQ ou l’apéro, parfaite pour les matinées ensoleillées ou les soirées bien arrosées, la musique de Khruangbin rassemble les goûts et les couleurs. Sorte de dénominateur commun d’une affiche éclectique, le trio américain a mis tout le monde d’accord dans le KluB C. Sans forcer.
Janelle Monáe, l’héritière du Prince
En début de soirée, Janelle Monáe s’est imposée en nouvelle princesse du R’n’B. Travailleuse douée, danseuse extra, la chanteuse déballe sa garde-robe excentrique devant un public conquis. C’est que l’Américaine a tout pour elle: une voix soul qui rappelle la regrettée Whitney Houston, une science (fiction) du funk qui doit tout à Prince et une aisance corporelle à ranger du côté des meilleures chorégraphies de Michael Jackson. Ultra sophistiqué, son show est un condensé de bonnes ondes. On en redemande.
Denzel curry, pogos et cervelas frits
Cas à part sur l’affiche du vendredi, l’ami Denzel Curry est un peu le seul à défendre les couleurs du hip-hop sous les voûtes du KluB C. Sur fonds d’injustices sociales et raciales, le rappeur californien aux dreads super stylées met du piment sur le temps de midi. Entre flow d’attaquant (Sumo) et mélodies entêtantes (Black Balloons), l’artiste explore les tréfonds de l’âme, s’interrogeant sur tout ce qui ne tourne pas rond chez certains humains. Dans la fosse, c’est la folie furieuse. À l’heure du repas, des festivaliers se jette dans les pogos armés de cervelas frits. Chaud bouillant.
Photos: Mathieu Golinvaux