Vincent Delerm s’est fait tout un film : l’immanquable "Je ne sais pas si c’est tout le monde"

Il racontait des histoires, il accumule maintenant les images. Delerm est passé à la réalisation, une évidence qui a pris vingt ans. Et, comme dirait son ami Souchon, musique ou ciné, c’est le même ravissement.

Je ne sais pas si c'est tout le monde Prod

Passionné de rock, co-fondateur de Canal+, actuel président du festival de Cannes, Pierre Lescure en a vu d’autres. Pourtant, dans l’émission C à vous (France 5), ses yeux se sont mouillés d’émotion en entendant Vie Varda, magnifique évocation de la cinéaste Agnès Varda glissée dans le nouvel album « Panorama ». Vincent Delerm est capable de ça, de phrases à part pour dire les émotions de tout le monde, pour dire ces instants où l’on se sent enfin vivant, où les sentiments et les sensations font battre le cœur plus vite et plus haut. Bien sûr, depuis son premier album en 2002, il passe aussi auprès de certains pour un chanteur assommant. Dans l’autre camp, il y a les anonymes qui se reconnaissent dans ses admirations et ses chansons. Il y a aussi Alain Souchon. Leur nouvel album est sorti le même jour d’octobre et ils se sont retrouvés ensemble en promotion comme ils se sont croisés en studios ou sur un plateau.

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Car Delerm a sauté le pas. Il a filmé une heure d’images belles et bouleversantes, un Je ne sais pas si c’est tout le monde, un peu montré au cinéma, peut-être un jour disponible en DVD, en tout cas ce soir, immanquable, à la télé. Cet élégant moyen-métrage est fait d’une collection de témoignages vrais ou écrits, venus d’inconnus ou de proches plus ou moins célèbres (Aloïse Sauvage, Souchon, Vincent Dedienne, Albin de la Simone, et même son épouse et ses deux fils). Surtout, on y découvre les derniers pas au cinéma de Jean Rochefort, qui lui aussi était du camp des admirateurs. « Il devait voir en moi quelqu’un capable de faire un film léger mais avec des moments touchants. Si ça se trouve, Jean a dit à tout le monde que c’était important de faire son film. J’ai fait comme s’il ne l’avait dit qu’à moi. »

"Plus ça va, plus je m’intéresse aux zones flottantes"

La démarche de Je ne sais pas si c’est tout le monde fait penser au documentaire Etes-vous heureux? de Jean Rouch et Edgar Morin que vous citiez dans «À présent» il y a trois ans. Quelle était ici la question centrale?

Vincent Delerm - Quelque chose comme « après quoi on court ? », « qu’est-ce qui nous fait de l’effet ? », « qu’est-ce qu’on fait de tout ça ?»… Plus ça va, plus je m’intéresse aux zones flottantes, à ces moments où on n’est pas sûr de savoir ce qu’on ressent. Le film est là-dessus. Si on doit le mettre dans une catégorie, on peut parler de documentaire. C’est vrai qu’il y a plus de choses réelles que de scènes écrites. Mais dans mon esprit, c’est plutôt une « propositio n». On m’a donné une heure d’écran et j’y ai mis ce qui m’intéressait. Je ressens des choses, mais je ne sais pas si tout le monde partage ces émotions. Je me suis demandé comment les autres vivent leurs sensations, j’ai essayé de comprendre comment fonctionne celui qui écrit sur le foot ou celui qui, tous les jours depuis quarante ans, note ce qu’il fait de sa journée... Comme je voulais aussi être à l’image très cadré et photographique, pour que le résultat ne soit pas trop formel et froid, il fallait équilibrer avec des témoignages et des scènes jouées par des comédiens, celles de Jean Rochefort, des villes nouvelles et dans l’usine.

Mêler des instants de vérité à des histoires inventées ne vous pose pas de problème ?

Cela correspond à ce que je crois sur la narration. Parfois, en tordant la réalité, on accède à quelque chose de plus vrai qui crée une émotion plus forte chez les gens. Mais on peut aussi faire l’inverse. Les amants parallèles raconte l’histoire de mon couple au premier degré. Pour ne pas être cuisiné sur le moindre détail, j’ai dit que c’était un mélange de choses vécues et inventées. Sur cet album, Fernando de Noronha produit par Girls in Hawaï parle aussi sans détours de la relation avec mon fils aîné. Je crois que ça se sent.

Une maîtrise sur François Truffaut, Fanny Ardant et moi en premier succès, une obsession plus récente pour la photo (trois livres, des expos, les images de la pochette)… Réaliser un film était une évidence...

En même temps, je vois bien les différences. Truffaut avait le cinéma chevillé au corps, comme moi j’ai la chanson. Je suis capable de faire un film, mais je ne suis pas un réalisateur né. Il faut avoir envie de diriger une grosse équipe et ce n’est pas ma pente. C’est agréable avec les années d’avoir de plus en plus de liberté et d’essayer des choses différentes, mais je n’ai pas changé de catégorie. La base, c’est la chanson.

Le 2/4/2020. Cirque Royal. Bruxelles. www.cirque-royal-bruxelles.be

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