Une histoire par jour: Régis Jauffret, champion des Microfictions

Aujourd’hui, pour une fois, Jauffret parle de lui et évoque dans le magnifique Papa, le mystère de son père, héros escamoté ou collabo honteux. Mais son actualité, c’est aussi l’édition de poche (Folio) des Microfictions 2018. Une prouesse littéraire à prendre journellement en double dose.

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Régis Jauffret a derrière lui une vingtaine de romans, dont certains tirés de faits-divers. Le meurtre du banquier Stern dans Sévère, Claustria sur l’affaire Josef Fritzl, La Ballade de Rikers Island à propos de Dominique Strauss-Kahn… Des livres où l’imaginaire rencontre le réel pour dire les dominations perverses de notre époque. Pour beaucoup d’écrivains, cela constituerait toute une œuvre. Mais il a aussi accumulé les prix et impressionné les lecteurs en ressuscitant spectaculairement un modèle oublié de récit: la microfiction. Au total, entre 2007 et 2018, cela représente deux tomes, 2 000 pages, mille histoires foisonnantes mais contenues chacune en une page et demie, toutes racontées à la première personne, mais sans jamais être autobiographiques…

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Vous écrivez vos microfictions comme certains font des abdos?

Régis Jauffret - Ce ne sont pas des exercices, c’est de la littérature. J’aurais même pu n’écrire que ça toute ma vie. A l’opposé, d’une discipline que je m’imposerais, c’est la manière la plus naturelle pour moi d’écrire. Je pense même que quelqu’un qui, sans expérience, se mettrait au travail serait capable d’obtenir en une page et demie quelque chose qui ressemblerait à une microfiction. Ce format d’histoire est en effet la chose la plus naturelle qui soit. Le roman lui n’est pas naturel. Une microfiction n’est pas non plus une nouvelle. J’y fais entrer beaucoup plus de choses que je ne serais capable de le faire dans une petite intrigue. C’est même ce qui m’intéresse.

D’où viennent toutes ces histoires?

Je ne sais pas du tout comment elles m’arrivent. Par expérience, je sais juste que je suis capable d’aller à chaque fois jusqu’au bout. Un jour, un lecteur critique a dit qu’au bout de 30 histoires, on voyait comment tout ça fonctionnait. Franchement, j’aurais voulu qu’il m’explique, j’aurais enfin compris pour ne plus m’en inquiéter. En tout cas, un nouveau recueil sortira en 2022 et le suivant est en cours. Je pense en faire un tous les deux ans.

Concrètement comment faites-vous? Quel est votre rythme?

Pour le premier tome, j’en ai écrit jusqu’à quatre par jour. Je voulais savoir jusqu’où je pouvais aller. Mais dans un processus naturel, je boucle une histoire par jour. J’ai des notes, mais les trois quarts du temps, je ne m’en sers pas. Je pars comme ça… Etant donné la brièveté du texte et comme il y a heureusement beaucoup d’heures dans une journée, j’arrive à faire pour une page tout le travail qu’on effectue pour un roman. C’est-à-dire écrire, relire, revoir encore et encore. Ensuite, je ne reviens plus dessus. Ce serait trop long et trop compliqué de donner un ordre à 500 microfictions. Elles sont simplement classées alphabétiquement par titre.

Vous voyez un lien entre ces microfictions vos romans?

Je sais en tout cas que, dans la multitude, vous disparaissez. Si vous écrivez trois microfictions, on vous retrouvera dedans. Mais au bout d’un moment, c’est fini. Vous n’avez pas assez de vies en vous pour remplir tous ces histoires. Parfois, j’ai rebondi à partir de choses prises dans l’actualité, mais ce ne sont que quatre ou cinq exceptions. Tout le reste, c’est de l’imagination mais de l’imaginaire né du réel.

Vos Microfictions en obtenu le prix de l’Humour noir. Mais dans votre dernier roman Papa, vous prévenez que si on ne peut plus rire de tout, vous préférez rendre votre plume.

Je n’ai pas forcément voulu faire passer une conviction contre notre époque. Dans les combats d’aujourd’hui, j’ai fait ma part, mais il faut reconnaître qu’on ne peut pas expliquer le passé. Michel Leeb s’est excusé pour ses imitations d’Africains. Il les faisait à l’époque sur toutes les télés françaises. Les lois antiracistes existaient, mais les organisations n’ont jamais protesté parce qu’alors, tout le monde comprenait que ce n’était pas des opinions politiques, mais de la fiction, du music-hall. Tout le monde savait que Leeb n’était pas raciste. Personne n’aurait non plus eu l’idée d’attaquer Desproges, Bedos ou Coluche. Ils n’étaient pas racistes ni antisémites. Ils faisaient même ça pour dénoncer le racisme. Il n’y avait aucune ambiguïté, mais comment expliquer ça aujourd’hui?

Pour en savoir plus, lisez notre article "Régis Jauffret: du fait divers aux faits du père". Rendez-vous en librairie à partir de ce mercredi ou dès maintenant sur notre édition numérique, sur iPad/iPhone et Android.

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