VOD et confinement : "Le cinéma a toujours un vrai avenir devant lui"

Un mois après le lancement de leur proposition « VOD Premium », distributeurs et plateformes « à la demande » se disent satisfaits de l’opération, et pensent déjà à l’avenir du cinéma post-confinement.

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Depuis plus d’un mois, pas un seul pop-corn. Pas une bande annonce, une boisson qu’on aspire bruyamment ou un chuchotement dans le noir. Les salles de cinéma restent désespérément vides, alors que le confinement en garde les portes closes. À l’image du secteur musical ou des arts de la scène, le cinéma belge est privé de ses vitrines depuis le 16 mars. Et comme les autres, n’a pas dit son dernier mot. C’est ainsi qu'immédiatement après l’annonce des mesures sanitaires qui fermaient les lieux de projection, on s’organisait déjà. Une semaine plus tard, la « VOD Premium » faisait entrer dans le catalogue des plateformes dites « à la demande » des films encore en salles — une proposition relativement impensable en temps normal.

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Thomas Verkaeren est l’un des ouvriers à la manœuvre. Le responsable général de la société de distribution de films O’Brother s’apprêtait à mettre à l'affiche Jumbo, un drame local et indépendant, quand l’annonce du confinement a été faite. « Toutes les dépenses pour la promotion avaient déjà été faites et je me voyais mal ressortir le film à la fin du confinement comme si de rien n’était. En parallèle, je me suis tout de suite mis en contact le service VOD de Lumiere », raconte-t-il. Mais puisqu’un film ne pourrait se contenter d’une seule plateforme, comme un public d’un seul film, Thomas Verkaeren entreprend de réunir — virtuellement — les acteurs du milieu. « Et on a décidé d’embrayer directement, pour prendre le relais des salles et en support aux distributeurs. D’autant que ça faisait longtemps qu’on réfléchissait à l’idée de faire du e-cinéma », réagit Philippe Logie, directeur des acquisitions et coproductions de VOO et Be TV. Une dizaine de distributeurs et la moitié de plateformes sont embarquées dans le projet, avec un prix unique de 8 euros par film : une offre commune qui s’impose face à la nécessité de cohérence, tant entre les acteurs que vis-à-vis des salles. Ce qui vaut à la Belgique d’être pointée à l’étranger pour sa réactivité face au problème. 

Un succès relatif

Un mois après son lancement, l’offre VOD Premium enchante les plateformes « à la demande », pour qui le confinement est une aubaine. « La VOD marche forcément très bien en ce moment », communique Philippe Logie. Pour les distributeurs, l’enthousiasme est désormais quelque peu bridé. Parmi les trois films distribués par O’Brother, Jumbo, Deux et Filles de joie, seul ce dernier s’en sort correctement. Si ces films très récents, qui ont pu bénéficier de campagnes de communication encore toute fraiche, attirent bien la curiosité des spectateurs en ligne, force est de constater que « la fenêtre VOD Premium reproduit les comportements des spectateurs en salles », selon le responsable des acquisitions et coproductions de VOO et Be TV. Les Belges ne se sont pas métamorphosés en amateurs d’art et essai à la faveur du confinement, et les blockbusters, souvent américains, restent les préférés des télécommandes. « Les grosses plateformes fonctionnent très bien pour les comédies et les films familiaux. Mais dès lors qu’on parle de films de niches, elles ne peuvent rien pour nous », analyse avec réalisme Thomas Verkaeren. « Jumbo, par exemple, est une proposition plus compliquée pour un public non-averti. Mais c’est aussi notre boulot de diffuseurs de trouver quels films proposer à ces plateformes ». À ce stade, ni O’Brother ni VOO et Be TV n’ont désiré communiquer sur leurs chiffres.

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Certains films belges parviennent mieux que d'autres à se frayer un chemin dans les salons des spectateurs. ©Filles de joie/Versus production

Mais la perspective de cette entente nouvelle ravit des deux côtés. Même les salles de cinéma pourraient y trouver leur compte, puisque certaines devraient bientôt mettre en place sur leur site un environnement favorable à la promotion de la plateforme Lumiere VOD, récupérant au passage quelques deniers pour chaque film acheté. Leur bénédiction a même été demandée, affirme le directeur d’O’Brother : « Ç’aurait été un peu leur couper l’herbe sous le pied, sinon. Mais elles ont très bien compris notre besoin ».

Des perspectives d'avenir

De son côté, Philippe Logie souhaite faire subsister la fenêtre au-delà du confinement. Ce nouvel écosystème répond en effet selon lui à deux problèmes majeurs de l’industrie du cinéma belge. Le premier, c’est celui du petit parc de salles belges, dont se plaignent souvent les distributeurs, qui manquent ainsi de lieux où projeter leurs films. « Il y a donc un taux de rotation important. Certains se disent alors que la VOD Premium représente la configuration idéale pour des films qui n’auraient pas pu être distribués en salles », explique-t-il. Le second, c’est de combler l’attente entre la fin de période d’exploitation d’un film en salles et son arrivée en VOD. « Ce laps de temps peut être très frustrant pour le consommateur. C’est aussi à ce moment-là que les pirates s’en donnent à cœur joie ». Une proposition « premium » règlerait en partie la problématique.

La VOD Premium offre donc de boucher judicieusement « les trous », perspective dont elle s'accommoderait très bien. Car à la question de savoir si elle peut s’imposer comme sauveuse de l’industrie cinématographique dans la situation actuelle, Thomas Verkaeren répond : « Non, et j’en suis très content ! Ça signifie que le cinéma a toujours un vrai avenir devant lui. C’est la preuve qu’on ne va pas en salles que pour un film, mais pour vivre une expérience. À mes yeux, c’est une conclusion positive et saine. À l’inverse aussi, ça veut dire qu’on ne va pas annihiler le cinéma avec la VOD, mais que les deux peuvent travailler de concert. On est par exemple actuellement en discussion avec des distributeurs internationaux qui n’auraient de toute façon pas pu être diffusés en salles ». Le directeur des acquisitions VOO/Be TV renchérit : « Notre volonté n’est pas du tout de remplacer les salles. La place d’un film sera toujours en premier lieu au cinéma ». En attendant, La Fédération des Cinémas de Belgique et l'Association belge des distribitueurs de films s’est fendue d’une lettre à la task force de déconfinement pour lui proposer des mesures concrètes dans l’intérêt des cinémas belges. Une seule chose est certaine pour l'heure : les salles ont beau être vides, il y a toujours du monde pour faire vivre le secteur.

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