Intime Festival – Enfin, le programme

Pris dans les tracas des nouvelles mesures sanitaires, le festival littéraire initié en 2013 par Benoît Poelvoorde et Chloé Colpé aura bien lieu. Bouclée, la programmation propose de très belles choses – comme un pied de nez à l’ambiance pesante du moment.

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Dans une période où tous nos repères bougent, il est bon de retrouver certains rendez-vous fixés longtemps à l’avance. Ces événements qui reviennent chaque année, qu’on appelle dans le jargon journalistique des marronniers et qui n’ont jamais été aussi rassurants. L’Intime Festival de Namur fait partie de ces balises qui, depuis huit ans, arrivés à la fin du mois d’août, nous indiquent la fin des grandes vacances en nous montrant la sortie. Dans l’agenda culturel, c’est plus qu’un événement – c’est un rituel. L’édition 2020 aura bien lieu, c’est la bonne nouvelle  dans une actualité qui, malgré le beau temps, reste lourde et tendue. L’épidémie a forcé les organisateurs à jouer du curseur et à imaginer des plans conformes aux mesures sanitaires imposées.

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Première (jolie) idée de l’équipe de Chloé Colpé, directrice du festival – déplacer l’événement du Théâtre de Namur (bondé pour l’occasion) vers deux lieux sacrés de la ville, la cathédrale Saint-Aubain et l’église Saint-Loup qui pourront, chacune, accueillir 100 spectateurs. Deuxième (bonne) idée du staff – ne pas se laisser décourager par cette nouvelle intimité contrainte. Et le résultat est là, dans une programmation diminuée (pas d’exposition, pas de films) mais costaude, comme un pied de nez à la sale ambiance créée par le virus.

L’ouverture de l’Intime – le vendredi 28 août – vise le haut et vise le beau avec Catherine Salée, figure remarquable de la scène belge (on l’a vue dans les films de Joachim Lafosse, des frères Dardenne, dans La trêve, mais aussi dans La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche.) qui lira un texte phénomène, Avant que j’oublie d’Anne Pauly – premier roman explorant la face cachée d’un père qui s’en est allé, laissant derrière lui le souvenir d’un monstre alcoolique et infréquentable. Lauréat du prix du Livre Inter, Avant que j’oublie impose d’emblée une voix, celle d’une ancienne journaliste du groupe Condé-Nast (elle a travaillé pour GQ et Glamour) qui trouve une nouvelle légitimité dans le paysage littéraire.

Franchement, à côté des autres finalistes du Livre Inter – Jean Echenoz, Régis Jauffret, Monica Sabolo… – je ne pensais pas intéresser le jury plus que ça, explique Anne Pauly. Moi qui avais besoin d’être validée dans cette direction, je ne pouvais pas rêver mieux. Avec ce prix, on m’a clairement dit qu’il fallait que je poursuive. Je vous avouerai que, pour le moment, et après avoir beaucoup tourné pour aller à la rencontre des lecteurs, je n’ai pas eu l’occasion de penser à une nouvelle idée, mais j’ai rencontré des gens et c’était très agréable.

Sur l’expérience – difficile – de la lecture, Anne Pauly raconte la fois où elle a entendu son texte dit par deux femmes dont “l’une avait bien compris le ton un peu ironique, et l’autre moins – ce qui donnait une chose un peu étrange – car la deuxième ne plaçait pas les montées et les descentes là où je les avais mises dans le texte qui avance par contrastes avec, à certains endroits, des moments d’émotions et, à d’autres, des inventaires sur une rythmique plus drôle et plus vive.” Sur la lecture que Catherine Salée s’apprête à livrer à l’Intime, Anne Pauly ne sait rien. “Elle a probablement travaillé dans un sens, et je ne veux pas interférer dans son travail, explique-t-elle, même si, évidemment, ça me plairait de lui parler…”     
 
Autre happening de lecture – samedi 29 – La petite femelle de Philippe Jaenada lu par… lui-même. Le livre – récit épique et drolatique de la vie de Pauline Dubuisson, condamnée pour le meurtre de son ex-compagnon en 1953 – sera mis en scène dans des projections de l’artiste Valentine Fournier qui, en s’inspirant du roman, a créé des tableaux à base de vieux photomatons. Interrompu dans son travail – “je suis au bout du bout d’un manuscrit de 1000 pages sur un fait divers des années 60” – Philippe Jaenada – prix Femina pour La serpe – a pris le temps de nous expliquer qu’il aime beaucoup les lectures publiques.

Je ne suis pas un grand performer ou un acteur professionnel, mais je fais ça souvent, raconte-t-il. Quand je fais des rencontres en librairies, on me demande de lire des passages de mes livres et j’aime bien. Quand j’ai commencé à écrire, il y a une vingtaine d’années, j’étais un peu gêné de lire – et on me proposait de donner le texte à un comédien. Mais en fait les comédiens qui lisent, souvent, ils mettent trop d’intentions, trop de mélodie, trop d’émotions. Et j’ai fini par me dire que j’allais le faire moi-même et je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça."

"Je l’ai fait en librairies ou dans des salons du livre, mais aussi dans des cadres un peu plus travaillés – comme le spectacle lecture que j’ai fait avec la chanteuse Emily Loizeau. Pour l’Intime, Valentine Fournier et Chloé Colpé sont venues me voir à Paris pour m’expliquer leur projet autour de La petite femelle, elles m’ont montré des choses de Valentine, qui est plasticienne, et j’ai dit OK. Mais c’est Valentine qui a choisi tous les extraits du livre – plutôt des extraits graves d’ailleurs. C’est elle qui a tout guidé – du coup, je l’ai laissée faire, mais je suis sûr que ça va être bien.”

Dans cette programmation du Chapitre 8 de l’Intime Festival, on ne peut pas ne pas signaler la présence de Reda Kateb – acteur français dont le charisme n’a fait que grandir depuis Un prophète de Jacques Audiard jusqu’à Hors normes de Nakache et Toledano. Invité stylé, il viendra lire Entre eux,  magnifique roman autobiographique de Richard Ford, emblème prestigieux de la littérature américaine, qui plonge dans l’histoire de ses parents. Outre Catherine Salée, les comédiens belges sont aussi présents – certains jouissant d’un capital sympathie gagné à la diffusion de séries à succès.

Philippe Jeusette, vu dans Ennemi public et Engrenages, se confrontera au roman enquête de Régis Jauffret – Papa, autour de l’énigme que fut son père durant la Deuxième guerre. Yoann Blanc, le désormais célèbre inspecteur Peeter de La trêve, prendra, lui aussi, à bras de corps un récit familial dysfonctionnant – Les enfants des autres de Pierric Bailly. Fabrice Murgia se frottera à un texte insolite mais plein de poésie au parfum de fuel – Chroniques d’une station-service d’Alexandre Labruffe, l’histoire fragmentée d’un jeune pompiste et radiographie d’aujourd’hui par les gens qui passent… Jean-Benoît Ugeux nous retransporte aux États-Unis avec un texte puissant de Stewart O’Nan – Un mal qui répand la terreur, titre qui nous ramène à la réalité de la pandémie (le roman évoque l’épidémie de diphtérie après la guerre de Sécession) et rappelle combien la littérature sert - aussi - à nous tendre un miroir. Miroir de notre société, miroir de notre condition.

Intime Festival. Les 28, 29 et 30/8. Cathédrale Saint-Aubain et église Saint-Loup, Namur. Programme complet sur https://intime-festival.be
              

 

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