

Bardé de prix des Etats-Unis (Pullitzer pour Indépendance) jusqu’en Espagne (le prestigieux Prix Princesse des Asturies pour l’ensemble de son œuvre), Richard Ford est un de ces ours de la littérature qui, de loin en loin, sort un peu de sa tanière pour accompagner la sortie d’un livre. Son dernier roman date de 2013 et on reste sous le charme de ce Canada (prix Femina et succès international). Entre eux sa dernière publication(2017),, est d’une autre dimension. L’auteur s’y souvient de ses parents dans un petit livre qui a la pudeur des grands sentiments, mais dit tout ce qui compte, secrets d’écriture compris. Richard y évoque Parker Ford, vendeur itinérant, rieur, maladroit, disparu avant d’avoir établi une véritable intimité avec son fils. Mais ce père toujours absent l’a subjugué. S’il avait vécu, le fiston n’aurait pas écrit parce qu’il ne serait jamais sorti de l’emprise de celui dont, cinquante-cinq ans après sa mort, il regrette chaque jour de ne pouvoir se rappeler la voix.
Dans la partie Au loin je me souviens de mon père, le fils raconte aussi la vie étonnante de ses parents entre eux, c’est-à-dire avant lui, le rejeton tardif. Ils ne se quittaient pas, heureux et insouciants, même sur les routes interminables des USA. A la mémoire de ma mère (reprise de Ma Mère sorti en 88) a été écrit juste après la mort d’Edna. Il s’achève sur les ruminations d’un fils qui n’a pas accompagné ses dernières semaines, pensant pour se rassurer que rien ne pressait. Non, dès le premier jour, le temps presse. Il faut le savoir, savoir aussi que « le monde ne fait pas attention à nous » et que « nous vivons obscurs ». C’est pour cela, pour qu’ils restent vivants, que le romancier a transposé tant d’épisodes de leurs existences dans ses livres. Il les raconte ici encore, en vrai, sans leur prêter de plus grandes qualités que d’être ses parents. Parents qui en ont fait un auteur nostalgique (« ce qui me frappe c’est la somme de tout ce qui s’est enfui »), surtout dans ce livre sans larme qui « capte quelque chose qui tient à l’essence de la vie ». On se réjouit d’entendre Reda Kateb, brillant acteur anti-star (Un prophète, Hippocrate, Hors normes…), le défendre.
Stewart O’Nan, l’autre Américain est une valeur aussi sûre mais discrète. Au début de sa carrière, on insistait sur les espoirs portés par cet ancien ingénieur, fan absolu de romans de genre et de Stephen King. Ils sont depuis devenus amis et ont même écrits des nouvelles à quatre mains. Et, vingt ans et quinze romans plus tard, on ne peut pas dire que Stewart O’Nan n’ait pas tenu ses promesses littéraires, même si on l’a peu su de ce côté de l’océan. Peut-être parce que O’Nan est davantage un écrivain irréprochable qu’un auteur à part, c’est-à-dire que, sans cesse, il change de registre et de style. Il s’est illustré dans le drame social, l’évocation du Vietnam, la saga familiale, le road trip infernal, la fable gothique, le roman sentimental et maintenant le biopic. Chaque parution, pourtant, est marquée par une même sensibilité. Elle s’exprime sans esbroufe et sert toujours l’efficacité de l’histoire. Après avoir lu Emily, une lectrice lui a même envoyé ce message « Monsieur O’Nan, êtes-vous bien sûr de ne pas être une femme ? »
Il y a quelques années, Stewart O’Nan a lancé une croisade, payante, pour qu’on redécouvre Richard Yates, romancier et nouvelliste mort dans l’anonymat après avoir frôlé la gloire et le cinéma (sa Fenêtre panoramique est devenu le magnifique film Les noces rebelles avec Winslet et Di Caprio), en quelque sorte un Fitzgerald une génération plus loin. On ne s’étonnera donc pas de le trouver en empathie avec le destin de Francis Scott Fitzgerald qui, entre L’envers du paradis, son premier roman en 1920, et Gatsby le magnifique, un chef d’œuvre mais une déception populaire en 25, fut l’écrivain le mieux payé du monde, puis sombra lentement jusqu’à gratter des contrats mesquins auprès de Hollywood, usine à broyer les scénaristes. C’est le pitch de Derniers feux sur Sunset, jusqu’ici l’ultime livre de O’Nan traduit chez nous. Mais l’intime festival a choisi d’exhumer Un mal qui répand la terreur, fable gothique de 2001. c’est qu’elle traite d’une épidémie (diphtérie), d’un homme qui va faire face et qui accompagnera les souffrances et le deuil de sa communauté, comme de sa propre famille. Sombre, mais sans doute prophétique, un livre (une lecture) à ranger juste à côté de Cette Peste de Camus redécouverte avec passion.
Le 30 août à 13h à la Cathédrale Saint-Aubin, Un mal qui répand la terreur de Stewart O’Nan sera lu par Jean-Benoît Ugeux