Le cinéma d'une « culture de sortie » à une « culture de salon » ?

Les studios Disney ont décidé de donner la priorité à son offre streaming. La fin des salles multiplex telles qu'on les a connues ?

Quelque chose est en train de changer dans l'industrie du cinéma. Une disruption telle que l'a connue l'industrie musicale il y a quelques années. La crise du Covid accélère les choses et peut-être qu'au sortir de la crise, le cinéma grand-public tel qu'on l'a connu n'existera plus. Peut-être sommes-nous en train de passer d'une « culture de sortie » à une « culture de salon ».

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Résumons la situation. On le sait, tous les secteurs de l'industrie du cinéma souffrent de la crise sanitaire. Mais les plus fragilisés sont clairement les exploitants de salle qui sont touchés de plein fouet de plusieurs manières : fermeture des salles durant le confinement, manque de films à l'affiche, manque de public dans les salles. Parmi les exploitants de salles, pourtant, il y a des différences. Les cinémas urbains s'en tirent mieux que les cinémas de campagne. Et dans les villes, si les cinémas art et essai s'en sortent plus ou moins, les multiplex, eux, boivent la tasse.

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Blockbusters introuvables, multiplex en détresse

Il y a une raison très simple à cela. Les multiplex comme le Kinepolis, ont été construits spécifiquement pour les blockbusters, ces films grand spectacle, pour la plupart made in Hollywood. Sans blockbuster, pas de rentrée. Or, depuis mars, les grands studios rechignent à sortir ce qu'ils ont en stock. James Bond, Wonder Woman 1984, Black Widow, Dune... Repoussés de  mois  en mois. Les budgets de ces films (et notamment les budgets marketing) sont tellement énormes qu'ils n'ont pas droit à l'erreur et doivent cartonner au box-office aux quatre coins du globe pour rentrer dans leurs frais.

Jusqu'ici, les gros studios ont donc attendu... Que les cinémas rouvrent, que les gens reviennent... Que Tenet sorte... Le film de Christopher Nolan avait pour mission de sauver le cinéma. Il est finalement sorti fin août en Europe et début septembre aux Etats-Unis. Résultat : mission impossible. Le film n'a récolté « que » 300 millions de  dollars au box-office mondial sur un budget de 200 millions de dollars hors marketing (il avait besoin de 500 millions pour rentrer dans ses frais). En clair, malgré le succès (avant tout européen) du film, ce n'est pas suffisant. Les Américains n'ont pas répondu présents.

Dans ces conditions, les gros studios ont pris des décisions : la plupart des grosses sorties ont (encore) été repoussées, cette fois à 2021. Quant à Disney, le plus gros des gros studios, il a pris une décision encore plus radicale.

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Disney + et la « culture de salon »

Il y a moins d'un an, Disney terminait 2019 sur un chiffre faramineux de 10,792 milliards de recettes au box-office mondial – et ce alors qu'il avait toujours à l'affiche deux films parmi les plus populaires, La Reine des Neiges 2 et Star Wars : Rise of Skywalker. Le studio aux grandes oreilles pulvérisait son propre record de 7,6 milliards de dollars de recettes. Parmi les dix films les plus vus de l'année, sept portait le logo Mickey, dont le film le plus lucratif de toute l'histoire du cinéma : Avengers : Endgame.

Six mois plus tard, ce n'est plus la même histoire. Les chiffres du premier semestre 2020 du studio sont catastrophiques. La faute incombant bien entendu à la pandémie de Covid. Il n'empêche, les recettes au box-office (et des parcs d'attraction) étant tombées à zéro, il fallait trouver une solution. Celle-ci vint de Disney +, service de streaming que le studio venait tout juste de lancer et qui s'approche déjà, en un an, des 100 millions d'abonnés au niveau mondial.

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Décision a d'abord été prise de sortir Mulan, blockbuster prévu en mars, directement en VOD premium (il fallait payer en plus de l'abonnement Disney +). Bien sûr, les recettes étaient minimes, mais un nouveau modèle prenait forme. D'autant que quelques semaines auparavant, Universal tentait la même chose avec Les Trolls 2 et obtenaient un joli succès.

La « culture de salon » représentée par les plateformes de streaming et les écrans larges, commence à faire sens parmi les gros studios de cinéma. Cette semaine, Disney a pris une décision. Un changement de stratégie. Puisqu'on n'est pas prêt d'en finir avec le Covid et que personne ne sait si les gens reviendront un jour au cinéma, la marque aux grandes oreilles a annoncé une restructuration de son business modèle, qui se concentrera à « développer et produire des contenus originaux pour les plateformes de streaming de la société (Disney+, Hulu et ESPN+), tandis que la distribution et la commercialisation des activités seront regroupées au sein d'une seule entité ».

En clair, Disney donne désormais la priorité à la VOD plutôt qu'aux salles de cinéma. Bien sûr, certains films sortiront encore au cinéma... Quand on jugera que ce sera profitable. Mais les films seront d'abord pensés pour le streaming. Une révolution copernicienne.

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Le cinéma comme parc d'attraction ?

Qu'adviendra-t-il des multiplex dans ces conditions ? Il y a sept ans, George Lucas et Steven Spielberg, ceux-là mêmes qui avaient inventé le concept même de blockbuster, prédisaient la fin du modèle et voyaient l'expérience cinéma comme une expérience « premium ». Quelque chose de plus proche du parc d'attraction, en somme, un parallèle que faisait il y a un an Martin Scorsese avec les films Marvel.

En attendant, les chaînes de cinéma ferment les unes après les autres. Exemple avec Cineworld en Angleterre et aux Etats-Unis. De façon temporaire, certes. Peut-être... Rien n'est encore acté, les choses  peuvent encore  évoluer, mais l'avenir du cinéma est bel et bien en train de s'écrire par temps de pandémie.

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