
Jean-Pierre Bacri: "Être acteur, ce n'est pas si grave"

Il a la réputation d'être le plus râleur des comédiens français. Celui qui n'hésite pas à l'ouvrir en dehors des plateaux pour défendre les intermittents du spectacle, pourfendre les préjugés et porter haut et fort la liberté de penser. On le connaît surtout à travers les films qu'il écrit et incarne avec sa compagne et complice Agnès Jaoui. D'Un air de famille au Goût des autres, de Cuisine et dépendances à On connaît la chanson. Au fil des rôles, Jean-Pierre Bacri a créé un style. Inventé un personnage de bougon au cœur tendre qui endosse toutes nos petitesses et toutes nos fragilités. Et c'est pour ça qu'on l'aime.
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En attendant la sortie du prochain Bacri-Jaoui (Au bout du conte, une comédie chorale sur les contes de fées), il enfile le costume d'un prof désabusé dans Cherchez Hortense de Pascal Bonitzer (Rien sur Robert, Petites coupures). L'histoire d'un homme taraudé par l'ennui, et que la vie va venir surprendre. On en a parlé sans angélisme ni langue de bois...
Comment définiriez-vous votre personnage?
Jean-Pierre Bacri - C'est quelqu'un qui est tombé assez bas dans sa propre estime et qui, un beau jour, décide d'y remonter.
Le rôle est un peu ingrat au départ. Ça ne vous a pas fait peur?
Non, pourquoi? Dans la vie c'est comme ça, on a des moments de fatigue, de tristesse, de déprime, des moments où rien ne va, où on a l'impression d'être abandonné par sa femme, par la vie. Ce qui m'a intéressé, c'est de jouer ce basculement, ce type qui donne un coup de pied et remonte à la surface.
C'est un film qui donne de l'espoir?
Oui, car ce personnage, c'est nous tous. Un assemblage de petites lâchetés et de petits héroïsmes. Le film dit qu'il y a moyen de reconquérir sa propre estime. Et ça, ce n'est pas du cinéma. La vie nous offre toujours des occasions. Des rencontres. Quelle meilleure occasion que de tomber amoureux pour se refaire une santé?
Croyez-vous à LA rencontre? Celle qui change une vie?
Oui. La rencontre avec Agnès Jaoui a fait de moi une bonne moitié de ce que je suis. C'est une rencontre tellement déterminante. Et de manière simultanée, Cuisine et dépendances, la première pièce qu'on a écrite ensemble trois ans plus tard, a bouleversé notre vie, à tous points de vue. C'est ça LE moment pour moi. Agnès en tout premier.
Votre travail d'acteur est-il aussi important que votre travail d'auteur?
C'est un petit plus anecdotique. Ça touche plus à ma vanité. Quand on me dit tu es formidable, drôle, charmant, c'est ce que j'appelle la vanité. Tout ce qui touche à l'auteur, au scénariste, ça touche à l'orgueil, à l'estime que l'on a de soi. C'est différent. Acteur, c'est à la portée de tout le monde, contrairement à scénariste. Vous savez bien que la moindre présentatrice météo devient actrice du jour au lendemain et s'en sort très bien, d'ailleurs. Bref, je ne méprise pas le métier d'acteur, mais ce n'est pas si grave.
Il y a quand même des bons et des mauvais acteurs...
Oui. Un bon acteur, selon moi, c'est quelqu'un qui a de la feuille.
C'est-à-dire?
C'est un acteur qui a une bonne oreille. Quand j'écris, je m'en rends compte. Écrire, c'est composer. Ensuite, pour pouvoir bien dire un texte, il faut bien l'entendre. Avoir l'oreille musicale. La manière d'entendre, c'est la manière de dire. Alors seulement le spectateur se dit: c'est saisissant, on se croirait dans la vie.
En filigrane, le film défend la cause des sans-papiers. Vous revendiquez cet engagement politique?
Oui, mais je suis toujours honteux quand on me dit que je suis un acteur engagé. Quelqu'un d'engagé va vivre en Inde et donne trois ans de sa vie pour les autres. Moi, je suis assis dans un canapé et je dis juste en quoi je suis à gauche. Si s'engager, c'est simplement s'exprimer, alors c'est pas grand-chose!
Certains acteurs ne veulent pas parler de leurs opinions...
Oui, parce qu'ils veulent conserver le public entier. Ce ne sont pas des acteurs mais des comptables. Des épiciers qui veulent préserver leur clientèle. Moi, j'en n'ai rien à foutre. Ça, c'est pas être engagé de dire ce qu'on pense, c'est être libre. Je ne me préoccupe pas de penser si le public va aimer ou pas mes opinions. Le principal, pour moi, c'est de comprendre ce que je dis.
Votre liberté de ton, d'où vient-elle?
Je ne sais pas. Donnez-moi vingt-quatre heures pour y répondre, pas cinq minutes... La question est peut-être plus intéressante que la réponse. En tout cas, c'est le sujet de nos films avec Agnès, on écrit sur la liberté de penser, sur l'indépendance d'esprit. Peut-être qu'il faut voir nos films pour y répondre.
Pourquoi vous ne réalisez pas?
C'est Agnès qui réalise, c'est pareil. Moi j'aime jouer parce que c'est enfantin, c'est gai. Et j'adore écrire. Mais je n'ai pas envie de repérer les lieux, ni de passer trois mois dans une salle de montage ensuite. Si je ne réalise pas, c'est par pure paresse.
Qu'est-ce qui vous donne envie d'accepter un rôle?
Le scénario, le scénario, le scénario. La réalisation, je m'en fous. Après coup, en voyant le film, je me rends compte de la mise en scène. Mais pour me décider, il me faut un bon scénario. Il n'y a que ça pour moi qui compte. L'écriture, et ce que ça raconte. Les scénarios à moitié écrits sont pour moi à moitié à faire, je n'aime pas les histoires anecdotiques, les histoires de cul sans intérêt. Pourquoi aller m'emmerder sur un plateau si l'histoire ne m'intéresse pas? La vie est trop courte!