
Illana Weizman brise le tabou sur le post-partum

Qu'auriez vous voulu savoir avant votre accouchement?
Illana Weizman. Je parle souvent des contractions post-accouchement dont je n'avais vraiment pas idée. Ce n'est pas seulement que mon entourage, ma mère ou mes copines qui étaient déjà mères ne m'en aient pas parlé. C'est aussi à la maternité, alors qu'on a un suivi assez rapproché pendant la grossesse et pendant l'accouchement, on ne nous prépare pas à l'après. C'est un gros manquement parce que, pour moi personnellement, les difficultés sont arrivées en post-partum bien plus que pendant la grossesse ou l'accouchement.
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J'aurais voulu savoir tous les autres symptômes physiques, comme les saignements. On m'avait dit que ce serait pendant une ou deux semaines, comme des menstruations plus abondantes. Ce fut loin d'être le cas. J'ai saigné pendant six semaines et parfois pendant une minute entière sans discontinuité. C'était vraiment impressionnant. Et puis le fait de porter des protections… Je n'ai pas trouvé de protections adaptées au post-partum, du coup j'ai acheté des couches pour incontinence. Le savoir m'aurait fait sentir moins sale et moins anormale.
À quoi d'autre faut-il s'attendre?
Le post-partum est différent d'une femme à l'autre. Il y a des symptômes qui sont toutefois assez récurrents, avec des niveaux d'intensité et de durée différents.
Parmi les symptômes physiques, les plus importants vont se produire dans les premières semaines, même si 31% des femmes parlent de symptômes physiques qui perdurent des années après leur post-partum, si on a une mauvaise rééducation du périnée par exemple. Il y a d'abord les pertes de sang et les contractions utérines, qu'on appelle les tranchées, pour que l'utérus reprenne sa taille initiale. Il va y avoir aussi des désagréments pas très glamour de type hémorroïdes et incontinence parce que le périnée a été mis à mal pendant la grossesse et l'accouchement. Cela prend du temps. Le corps est en convalescence. On va mettre des semaines voire des mois avant de s'en remettre physiquement.
Puis sur le plan de la santé mentale, c'est le temps de la rémission qui, pour moi, est un des pans les plus importants du post-partum. Pourtant, il n'est pas du tout pris à bras le corps par les politiques de santé publique. Certes, on parle un peu de la dépression post-partum, qu'on confond d'ailleurs parfois avec la période post-partum, mais on ne se rend pas compte à quel point elle est répandue: une mère sur cinq, c'est énorme! En sachant que c'est probablement sous-diagnostiqué... Par exemple, quand j'ai fait ma dépression, mon fils avait huit mois donc dans ma tête, je n'étais plus en post-partum. Il y a tout un spectre très large de difficultés maternelles qui peuvent survenir pendant le post-partum, que ce soit deux mois, un an ou deux-trois ans après. C'est un temps qui est long et chaotique.
Vous le dites aussi dans votre livre. « Le post-partum, on sait quand il commence, mais pas exactement jusqu'où il s’étend. » En quoi ce flou sur la durée de cette période est-il problématique?
Parce que quand on le vit soi-même, on a l'impression qu'on est individuellement défaillante. Comme personne n'en parle, on a l'impression que tout le monde le vit très bien et que le problème vient de nous. Si on considérait le post-partum comme un temps long, cela impliquerait d'avoir des politiques de santé publique d'accompagnement plus proximales, plus systématisées. Aujourd'hui, il y a des dispositifs qui sont mis en place, heureusement, mais toutes les mères ne sont pas au courant et ce n'est pas automatisé. Trop souvent, une nouvelle mère n'a un rendez-vous avec un professionnel de santé que six semaines après le retour à la maison, alors que ce sont peut-être les semaines les plus complexes. Et au-delà de ces six semaines, il faudrait également qu'il y ait des contacts vers des thérapeutes, en fonction des besoins de la mère.
D'où vient au fait ce mythe de la sacro-sainte maternité, merveilleuse et facile?
Dans un système patriarcal où les genres ont des assignations précises, le terrain de prédilection donné aux femmes est la maternité. C'est là où elles vont vivre l'accomplissement de leur genre et leur supposé épanouissement personnel. Cette idée que les femmes sont faites pour avoir des enfants est tellement incrustée dans nos inconscients que tout ce qui tourne autour de la maternité doit donner envie d'avoir des enfants. À l'inverse, tout ce qui va venir en contradiction avec cette maternité heureuse va être invisibilisé. Je parle du post-partum, mais on peut également parler de la PMA, des fausses couches, du burn-out parental… Bref, toutes les difficultés autour de la maternité, que ce soit pour le désir ou le non-désir d'enfant, vont être tabou.
Comment qualifieriez-vous la maternité en un mot?
Ambivalente. On peut aimer son enfant et se sentir aliénée par celui-ci. On peut aimer être mère et parler des difficultés à être mère, parce que cela va ensemble. Il faut pouvoir l'entendre, parce qu'il en va de la santé mentale des mères.
Oui, parce que, plus que des bouleversements physiques, c'est également un bouleversement mental et identitaire…
Il y a des chercheurs qui parlent de matrescence. J'aime bien ce concept. Comme le passage de l'enfance à l'adolescence, il considère qu'on a vraiment un passage identitaire très fort entre la femme et la mère. Au-delà des changements hormonaux et neurobiologiques, il y a un changement de statut bouleversant et violent. Alors que notre société montre cette image de la mère extrêmement sacrificielle, qui devrait quasiment s'oublier lorsque son enfant arrive, j'essaie de faire vivre côte à côte ces deux identités.
Avant d'être un livre, #MonPostPartum est un mouvement sur les réseaux sociaux que vous avez co-créé l'an dernier. Comment est né ce hashtag?
La genèse, c'est la censure d'une publicité Frida Mom, une marque qui vend des produits de soins et d'hygiène post partum, jugée « trop graphique ». Je m'attendais à voir quelque chose de vraiment choquant, alors qu'en réalité, pas du tout.
J'ai réalisé avec cette publicité que c'était le post-partum qui était tabou et non sa représentation quelconque. Simplement le fait de parler de cette période est vu comme une transgression. Ce n'est pas acceptable socialement. Je me suis rendu compte que c'est aussi à cause de ça, du fait que je n'avais jamais vu un corps post-partum avant de voir le mien et que je n'en avais jamais entendu parler avant de le vivre, que je l'ai vécu aussi mal.
En réaction à cette censure, j'ai publié une des deux photos que j'avais prises de mon corps durant cette période, en culotte filet et avec mon ventre arrondi. Il y a eu tellement de retour, qu'on a lancé ensuite, avec trois amies militantes (Morgane Koresh, Ayla Linares et Masha Sacré), le hashtag sur Twitter. Et ce fut comme une énorme thérapie de groupe.
Mais vous avez reçu aussi des critiques, auxquelles vous répondez dans votre livre. Le fait qu'on n'aide pas ces femmes, que celles-ci s'autocensurent ou qu'on n'écoute pas celles qui osent parler… Cela dit quoi de notre société?
La souffrance des femmes, de manière générale, est prise comme une victimisation. On déplace la source de la souffrance et de la honte pour faire taire ces femmes. Faire accoler la maternité avec la souffrance que tu dois accepter, je trouve ça terrible. Je vois cela comme un sacrifice des mères. Et cela dit qu'on est dans une société misogyne et maltraitante envers les femmes. Celles-ci doivent se reproduire. Si elles ne le font pas, ce sont des monstres. Quand elles le font, elles doivent être absolument parfaites dans ce rôle et taire ce qui est compliqué. Si elles osent se plaindre, on les renvoie à celles qui ne peuvent pas avoir d'enfant. Puisque la peine ultime serait de ne pas avoir d'enfant, toutes les autres peines ne sont pas entendables.
Au-delà d'une mise en place de politiques de santé publique systématisées et proximales, comment pouvons-nous aider à notre échelle une femme de son entourage pendant son post-partum?
Demandez-lui comment elle va. On est tellement conditionné à s'intéresser à l'enfant, une fois qu'il est né, on délaisse la mère qu'on ne voit plus comme une personne à part entière.