Rudy Léonet raconte sa rencontre avec David Bowie "Ça, je n’avais jamais vu"

Quinze minutes d’interview prolongées par un artiste qui s’amuse et veut faire durer l’instant.Un moment précieux où il est question d’eau minérale tempérée, d’expresso et d’une sorte de Mademoiselle Legourdin.

David Bowie @BelgaImage

Illustré par Clarke, le livre Access All Areas de Rudy Léonet paraît en octobre. Pendant cinq semaines, nous en publions des extraits où - de Bowie à Daho, et de Gainsbourg à Cure - les belles rencontres se succèdent.

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David Bowie n’est pas très grand. C’est ce qui frappe tout d’abord puis tout ­rentre dans l’ordre quand il s’assied et qu’il revient à hauteur d’homme. Puis c’est son regard étrange dû à une mydriase (il n’avait pas les yeux vairons mais deux yeux bleus, une pupille dilatée en permanence à la suite d’une bagarre de jeunesse) et son sourire carnassier ­toutes canines dehors qui l’emportent. En 1996, il tourne encore avec son album “Outside” accompagné du meilleur groupe possible rassemblé autour de lui (Reeves Gabrels, Gail Ann Dorsey, Carlos Alomar, Mike Garson) depuis les Spiders From Mars. Il est très gentil, élégant, prévenant. Il est accompagné d’une dame qui ressemble à une grand-mère plutôt très stricte. Une sorte   de Mademoiselle Legourdin chez Matilda de Roald Dahl. Elle dénote un peu mais manifestement c’est elle qui gère. Coco Schwab est l’assistante personnelle de David. Elle l’était depuis les années 70 et elle le restera jusqu’à sa mort. C’est elle qui veille, qui organise, qui dit “Go” et qui dit “Stop” aux interviews et aussi à beaucoup d’autres choses.

Après ma quinzaine de minutes réglementaires, elle me fait signe de l’index qui dessine d’abord une courbe sous la gorge puis ensuite se dresse vers le ciel qu’il faut couper dans une minute. Je fais un signe de la tête. “Oui, Mademoiselle Legourdin, j’ai compris.” David Bowie se retourne et d’un geste à peine percep­tible, lui fait com­prendre de ne pas interrompre. Ces deux-là ont un “body language” rodé depuis 25 ans. Manifestement, il s’amuse et j’en profite. C’est là que je me rappelle que le manager reste l’employé de l’artiste et qu’au bout du compte il répond à ses moindres désirs. C’est un exécutant et qui se ressemble s’assemble.

Souvent si le manager n’est pas ­sympathique, c’est que l’artiste a voulu s’entourer d’un profil comme celui-là. La loge de Bowie ressemblait davantage à un container de chantier amélioré qu’à une suite dans un 5 étoiles. Normal, en festival on ne fait que passer quelques heures, on campe puis on décampe. Quand je lui ai demandé de quoi il ne pouvait absolument pas se passer quelques minutes avant de monter sur scène, il m’a répondu qu’il avait deux exigences: “une bouteille d’eau minérale tempérée et une machine à expresso avec de l’excellent café italien”. Très raisonnable.

Une chose que je n’avais jamais vue et à laquelle je n’assisterai plus jamais

Le soir, il s’est passé une chose que je n’avais jamais vue et à laquelle je n’assisterai plus jamais. Après son concert, lorsqu’il est redescendu de scène, avec un plaid sombre sur les épaules pour se réchauffer, tout le personnel du festival s’était rassemblé au bas de l’escalier pour lui faire une haie d’honneur jusqu’à la porte de son tour bus: roadies, administratifs, chauffeurs, cuisiniers, sécurité, journalistes, collaborateurs, absolument tout le monde. Ça représentait une marche de plusieurs dizaines de mètres sous des applaudissements et des cris ininterrompus.

Avant de s’engouffrer dans l’autocar, avant la dernière marche, il s’est retourné et a fait un signe de la main en guise de remerciement. Visiblement, celui qui avait tout vu, tout entendu, tout vécu restait encore sensible à un expresso italien et à une standing ovation sincère et spontanée. Et savoir que cet homme, dont l’émotion était perceptible, restait encore perméable à tout ça avait quelque chose de rassurant.

David Bowie

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