"Ce matin-là, Serge Gainsbourg avait fait un malaise"

L’hôtel a appelé le médecin de garde et tout s’est bien passé: Rudy a eu son autographe, trace qui s’efface avec le temps.

Serge Gainsbourg @BelgaImage

Illustré par Clarke, le livre Access All Areas de Rudy Léonet paraît en octobre. Pendant cinq semaines, nous en publions des extraits où - de Bowie à Daho, et de Gainsbourg à Cure - les belles rencontres se succèdent.

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Avoir un accès, ça donne des droits mais ça impose aussi des devoirs. Comme par exemple garder une attitude professionnelle et ne pas se précipiter pour demander un autographe ou un selfie. Question de principe. Question de respect. Sauf qu’avec certains, ne pas demander d’autographe passe pour un manque de politesse! Et Gainsbourg fait partie de ceux-là. Le 27 novembre 1988 est un dimanche et c’est à un médecin de garde que l’hôtel Amigo a dû faire appel pour un client V.I.P. qui y avait ses habitudes et qui venait de faire un malaise. Mais il en faut plus pour que Gainsbourg annule son planning de la journée. Les interviews sont maintenues et c’est quand même aidé d’une canne mais le sourire en coin qu’il entre dans la pièce avec sa trouvaille: “L’horloge a eu un raté mais on a donné quelques coups de remontoir et le tic-tac est reparti, elle est comme si elle sortait de la bijouterie.”  

Je ne sais plus ce qu’il était venu vendre. Aucune importance. Il aimait bien occuper le terrain médiatique. Pas besoin de poser des questions. Ça le mettait en joie que des gens l’écoutent, boivent ses paroles au goulot, rient de ses blagues, notent ses bons mots. Il fallait juste ne pas oublier d’enfoncer la touche “record”, dire bonjour et puis il s’occupait du reste. Après l’heure réglementaire, au moment de prendre congé, je lui demande s’il peut me signer un album. Il a déjà son stylo-plume en main. Un Parker. Comme il disait: “On n’écrit pas l’amour avec un Bic. On écrit l’amour avec une plume Sergent-Major.” Et il me demande: “À qui?” Je ne voulais pas une dédicace, je voulais un autographe chiadé tracé à la main levée. Je m’entends répondre: “À personne, juste la date et votre signature.“ Je le vois écrire avec précision un texte relativement long.

Lorsqu’il me tend l’album, la pochette est enjolivée d’un manuscrit à l’encre:  “À personne, le vingt-sept novembre mille neuf cent quatre-vingt-huit Gainsbourg.” Avec le temps, elle s’est légèrement estompée. La pochette était recouverte d’un film satiné et l’encre n’avait pas été bue par le papier. Heureusement, la pointe de la plume y avait creusé un sillon visible, une trace semblable à une marque. Je suis même allé voir un artisan restaurateur de papier pour la raviver. Il m’a longuement expliqué sa vision des manuscrits, des vieux papiers, de l’écriture, des textes originaux et que parfois il faut laisser le temps faire son œuvre, accepter l’usure, la décoloration, et que l’évanescence fait partie de son histoire. Il faut l’accepter parce qu’elle renforce son authenticité.

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