

Elle est née à Sidi Bouzid, épicentre des printemps arabes, et partage désormais son temps entre Paris et Tunis. Cinéaste exigeante, Kaouther Ben Hania (Le challat de Tunis, La belle et la meute) présente Les filles d’Olfa, son cinquième long-métrage qui lui a valu une sélection officielle au dernier Festival de Cannes. Il s’agit d’un documentaire particulier, né d’un drame réel que la cinéaste découvre en 2016, lorsqu’Olfa Hamrouni, mère de famille monoparentale d’un quartier populaire de Sousse, alerte les médias pour signaler le départ de ses filles aînées pour épouser des combattants de Daesh. Elles sont toujours actuellement emprisonnées en Lybie. Partie pour réaliser un simple documentaire, la cinéaste a peu à peu établi un dispositif particulier autour d’Olfa et de ses filles cadettes, convoquant des comédiennes censées remplacer les filles disparues, mais aussi Olfa elle-même (via la star tunisienne Hend Sabri).
Elle nous a expliqué sa démarche: “J’ai rencontré Olfa pour la première fois en 2016. Elle avait fait de nombreux passages dans les médias après la tragédie de ses filles. Je l’ai contactée. Au début je tournais un documentaire classique axé autour des deux filles plus jeunes mais ça ne marchait pas. J’ai dû réfléchir à une forme particulière qui puisse convoquer les souvenirs et confronter Olfa à son propre double. J’en suis arrivée à l’idée de faire appel à des comédiens pour détourner le cliché classique de la reconstitution.”
Il en ressort un film d’une puissance dévastatrice dont on peine à se remettre tant l’effet de vertige fonctionne. Tout d’abord parce qu’on ne saisit pas d’emblée la nature du “loup” qui a arraché ses filles aînées à Olfa, mais aussi parce qu’Olfa elle-même dévoile la part la plus obscure de sa maternité (elle a été cette mère “Médée” qui battait ses filles comme plâtre, elle-même oppressée par une vie entière de soumission à l’ultra-patriarcat), tandis que le film parvient à déconstruire la radicalisation dans la Tunisie post-révolutionnaire. “Ce film est un zoom sur la radicalisation mais ce qui m’intéresse, ce sont les rapports de domination en général. Le pouvoir du cinéma est de rendre la complexité du monde, de creuser et déconstruire les clichés. Le documentaire permet cette recherche et Les filles d’Olfa a été un laboratoire par excellence”, poursuit Kaouther. Derrière l’ombre d’Olfa se révèle le portrait magnifique des deux cadettes qui dit les aliénations auxquelles elles ont échappé et la possibilité de la liberté, lumineuse, au bout du chemin.
Les filles d’Olfa ****
Réalisé par Kaouther Ben Hania. Avec Olfa Hamrouni, Hend Sabri, Eya et Tayssir Chikhaoui - 110’.
En 1990, Hervé Guibert signait le sublime À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, roman adressé, lui aussi indirectement, à Michel Foucault, atteint du sida. Trente ans plus tard, Marusya tente à son tour de sauver, grâce à l’art, la vie de son ami Kimi, atteint d’un mal plus moderne: la dépression. À travers des bribes de leur adolescence, filmées à l’aube des années 2010, Syroechkovskaya dresse le portrait d’une jeunesse forcée de grandir sous un régime étouffant appelé Russie.
L’ombre de Poutine plane sur tout le film et ajoute une couche de noirceur à ce journal intime qui n’en manque pourtant pas. Entre la dépression, la pauvreté, la toxicomanie, l’alcool et les pensées suicidaires, Marusya et Kimi tentent de survivre. Comme des mauvaises herbes qui se frayent un chemin à travers le béton, les deux adolescents luttent et se racontent sans fard. How To Save A Dead Friend met en lumière leurs cicatrices, leurs larmes, leurs faiblesses et tout ce que la société souhaiterait cacher (surtout en Russie). En résulte un cri du cœur bouleversant et indispensable, qui transpire l’amour.
How To Save A Dead Friend ****
Réalisé par Marusya Syroechkovskaya. Avec Marusya Syroechkovskaya, Kirill Morev - 103’.
Après Le crime de l’Orient Express et Mort sur le Nil, Kenneth Branagh incarne dans Haunting In Venice un Hercule Poirot à la retraite dans une Cité des Doges en pleine fête d’Halloween. Jamais adapté au cinéma, ce roman qui figure parmi les derniers d’Agatha Christie mélange enquête classique et ésotérisme. Dans un palazzo menacé par la ruine, un médium fait parler la fille décédée de la propriétaire. La séance de spiritisme révèle qu’elle ne serait pas suicidée. Quand la voyante est assassinée, Poirot reprend du service. Le huis clos est classique mais peuplé de fantômes. Branagh a eu la bonne idée d’appliquer à sa réalisation la grammaire des films d’horreur à l’ancienne, ce qui la distingue des précédentes. Reste que la mécanique sans surprise de l’enquête proprement dite parfume ce nouveau Poirot d’un parfum certes sympathique mais surrané. -
POLICIER
Haunting in Venice **
Réalisé par Kenneth Branagh avec Kenneth Branagh, Tina Fey, Camille Cotin, Kelly, Reilly, Michelle Yeoh - 104’.