Le fils de Saül, au cœur de l’enfer

Un film historique majeur qui bouleverse la représentation de la Shoah au cinéma.

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Parmi les morts qu'il charrie hors de la chambre à gaz, Saül, membre du Sonderkommando du camp d’Auschwitz-Birkenau, croit reconnaître son fils. Et décide qu'il lui offrira une sépulture décente dans cet enfer où la fumée et la cendre vouent les corps à l'oubli. Grand Prix au festival de Cannes, Le fils de Saül (qui s’inspire en partie du livre-témoignage Des voix sous la cendre) se regarde comme un grand film d’histoire et de cinéma, d’une intelligence et d’une humilité totale.

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Le projet du jeune réalisateur hongrois Laszlo Nemes, 38 ans, se heurtait en théorie à la pire des difficultés: représenter l’irreprésentable. Mais aussi au tabou érigé à l'encontre de la fiction. Il y a vingt ans, Claude Lanzmann, auteur du documentaire Shoah, avait accusé Steven Spielberg de réduire la Shoah à un "décor" dans La liste de Schindler. En mai dernier, lors de sa présentation à Cannes, Claude Lanzmann a salué Le fils de Saül, dont la réussite du film tient justement à ce que la représentation de la Solution finale est au cœur d’un dispositif radical de mise en scène: montrer l’horreur des camps à hauteur d’un homme (formidable interprète hongrois Géza Röhrig,) guidé par une quête qui s’étend sur quelques heures (trouver un rabbin, enterrer un enfant) - alors que derrière lui s’accomplit le pire des massacres (400.000 Juifs hongrois furent liquidés à la fin 1944), et que d’autres déportés fomentent une révolte ou risquent leur vie pour photographier l’horreur.

Quand Saül se déplace dans de longs plans-séquences à travers le dédale des chambres à gaz, la caméra floute l’arrière-plan qui l’entoure (les corps, les morts, les fosses qu’on creuse quand les fours ne suffisent plus), et donne plus à entendre qu’à voir la mécanique de l’extermination. Extraordinaire de brutalité, vibrant de toutes les voix des disparus d’Auschwitz, croisant les langues (yiddish, allemand, hongrois) et les injonctions de la hiérarchie nazie (les "Arbeit! Arbeit!" des SS), la bande sonore possède littéralement le film. Evocation par le vide de l’horreur (la fumée qui envahit tout après la crémation, obligeant le spectateur à reconstituer les "images manquantes" dans les forêts de bouleau), Le fils de Saül cherche - dans la mort même - à préserver une parcelle d’humanité. Et s’impose comme un grand chef-d’œuvre contemporain.

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