
Jean-Paul Belmondo : le cool à la française

Lorsqu’on raconte comment le septième art est passé en France du “cinéma de papa” des années d’après-guerre à la modernité des années 60, on cite souvent le poids de cinéastes comme Jean-Luc Godard ou François Truffaut. On oublie de préciser qu’il n’y a pas que la manière de filmer qui a changé dans ces années-là mais aussi la façon d’être, de bouger et de parler devant une caméra. Sur ce chapitre, Jean-Paul Belmondo a ouvert bien des portes. Son jeu d’acteur a tourné le dos à une forme d’académisme qui avait cours sur les scènes de théâtre et les plateaux de cinéma. Alain Delon, son exact contemporain, son éternel rival et son ami lointain est resté un exemplaire unique, à la beauté et à la fascination inimitables. Belmondo a lui non seulement mené un parcours singulier mais il a aussi donné des envies et des armes à pas mal d’apprentis-successeurs.
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Le Mister Cool français est le chaînon manquant entre Jean Gabin, Jean Marais, Gérard Depardieu, Pierre Niney (qui fait très fort penser au Belmondo des années 60) et Jean Dujardin qui voit en lui une sorte de père spirituel (Dujardin qui était passé ces dernières années du stade de fan à celui de proche). Ce qui frappe le plus dans la filmographie de Belmondo, c’est l’éclectisme. En 1960, À bout de souffle de Godard fait de lui une vedette. Il n’a alors à son actif qu’une demi-douzaine de seconds rôles, mais à partir de cette révélation, il ne quittera plus le haut de l’affiche. Loin de se laisser enfermer dans un style, refusant d’être le porte-drapeau de la Nouvelle Vague ou du divertissement commercial, il voguera entre les deux pendant plusieurs années, enchaînant les collaborations dans des genres mais aussi avec des cinéastes aux univers très différents. C’est l’excellent Cartouche de Philippe de Broca en 1962, où il se révèle en digne successeur de Jean Marais dans le film de cape et d’épée (où il retrouve son vieil ami Jean Rochefort et séduit Claudia Cardinale qui dira “Jean-Paul c’est la perfection”). C’est la rencontre avec Jean-Pierre Melville qui le fera tourner dans Le doulos et L’aîné des Ferchaux dont il sortira fâché (il aurait giflé le réalisateur qui avait manqué de respect à Charles Vanel). Mais aussi avec Henri Verneuil qui le mettra à l’affiche d’œuvres comme Un singe en hiver, Week-end à Zuydcoote, Le casse, Peur sur la ville ou Les morfalous.
Des films et des fidélités
Des fidélités vont se tisser avec de Broca et Verneuil, bien sûr, et plus tard avec Jacques Deray, Georges Lautner, Gérard Oury, Claude Lelouch ou même Alain Resnais dont il produira personnellement Stavisky. La grande force de l’acteur a été de passer allègrement du drame à la comédie la plus débridée, à l’aise autant dans la composition dépouillée, comme dans le très trouble Léon Morin, prêtre de Jean-Pierre Melville où il a Emmanuelle Riva pour partenaire, que dans l’extraversion la plus décomplexée dont un des sommets est Le magnifique de Philippe de Broca, film auquel rend hommage la série des OSS 117 incarnée par Dujardin. Pour Belmondo, les années fastes couvrent trois décennies. Des millions de spectateurs courent alors le voir dans Le cerveau en 1969, Peur sur la ville en 1975, L’as des as en 1982 ou Itinéraire d’un enfant gâté de Lelouch en 1989 qui lui vaudra le César du meilleur acteur, une récompense qu’il n’ira pas chercher. Les années 70 et 80 seront aussi marquées par le duel Delon - Belmondo.
Difficile de choisir. Inutile de choisir…
Les deux comédiens se connaissent et s’apprécient depuis leur rencontre à la fin des années 50 dans Sois belle et tais-toi d’Yves Allégret. Leurs parcours sont assez similaires (films d’auteur, films d’action ou d’aventures, carrière en Italie), mais la palette de Delon a du mal à intégrer la comédie. Après leur rencontre au sommet dans Borsalino de Jacques Deray en 1970, ils vont se livrer à une compétition à distance, par films interposés. Delon sera l’éternel beau gosse, Bébel le bon copain. C’est aussi l’époque où Belmondo multiplie les cascades. Il avait déjà pris des risques dans L’homme de Rio ou Le casse, mais dans les années 70 et 80, cela devient sa spécialité. Les scénarios, polars ou comédies, semblent moins s’intéresser aux récits qu’aux possibilités d’installer Belmondo sur le toit d’une rame de métro ou de l’accrocher sous un hélicoptère (en caleçon à pois dans Le guignolo, à la suite d’un pari entre Lautner et Bébel). Le public finit par se lasser de ses Professionnel, Marginal et autre Solitaire. Une autre génération est arrivée sur le marché et Belmondo aura l’intelligence de retourner alors à ses premières amours: le théâtre. En 2001, un AVC met fin à ses projets en cours. La carrière de Bébel ne connaîtra plus que quelques apparitions.
Comment, dans une carrière longue de plus de 60 ans et riche d’environ 80 films, pointer les meilleurs, les plus drôles ou ceux qui ont le plus marqué le public? Chacun a un film préféré de Belmondo au fond de son cœur. Toute sélection est donc, par définition, imparfaite. Par exemple, dans les 19 films disponibles sur Netflix, il y a des classiques et des incontournables. Il en manque quelques-uns, mais entre cette collection ou les hommages qu’immanquablement lui rendront les télévisions publiques, l’important est surtout de réaliser à quel point cette personnalité a une place à part dans l’histoire du cinéma et le cœur des spectateurs. Les cinéphiles ne l’oublient pas. Pas plus que le Festival de Cannes ou la cérémonie des Césars qui lui ont rendu de vibrants hommages. Les documentaires et les expositions se sont multiplié également. Mais Belmondo reste plus que jamais une affaire de modernité, d’invention et de liberté. Il est temps de penser aux nouvelles générations. Et leur présenter qui fut et qui restera toujours Jean-Paul Belmondo.