Que va devenir le cinéma d'auteur à l'ère du streaming?

Absorbés par les plateformes de streaming et touchant un nouveau public, les films d’auteur vont-ils devenir de simples “contenus” pour Apple, Netflix, Disney+ ou Amazon? C’est l’une des questions que pose l’observation de l’industrie du cinéma.

Jane Campion sur le tournage de The Power of the dog sur Netflix
Jane Campion sur le tournage de The Power of the dog pour Netflix. © BelgaImage

Que font les plateformes au cinéma d’auteur? À l’heure où les films de Martin Scorsese et Jane Campion sortent directement sur Netflix, il y a lieu de se demander ce que pourrait devenir le cinéma d’auteur dans un contexte d’expansion des plate­formes, phénomène économique et culturel initié avant l’épidémie mais amplifié et accéléré par elle. Si, depuis la réouverture, les salles enregistrent une baisse de fréquentation de 30 % par rapport à la période pré-Covid, les plateformes ne cessent leur expansion (les abonnements ont franchi le milliard d’abonnés, toutes marques confondues dans le monde - chiffres de la Motion Picture Association). Au point que les streamers se paient maintenant la cinéphilie…

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En décembre dernier, Netflix lançait à la Cinémathèque à Paris et à l’Institut Lumière à Lyon une rétrospective de ses films primés dans les festivals. Tollé à la Société des réalisateurs de films (SRF) qui dénonçait la domination des plateformes et “un inquiétant brouillage entre l’audiovisuel et le cinéma”.

Cette inquiétude fait écho à une autre réalité financière: la possibilité que Canal + (qui finance depuis trente ans le septième art français et une part du cinéma européen) réduise de moitié ses investissements dans les films. Un danger qui guette car la nouvelle chronologie des médias (qui fixe les délais de diffusion des films après leur sortie en salle) s’avère de plus en plus favorable aux plateformes en passant de 36 à 15 mois. Canal + devrait rester le banquier du cinéma français et de ses coproductions (la filiale de Vivendi finance actuellement une centaine de films par an avec une obligation de ­consacrer 12,5 % de son chiffre d’affaires, autour de 160 millions d’euros, au cinéma).

Un jeu dangereux?

En Belgique, le tax shelter reste une source de financement “qui protège l’industrie plus que les auteurs” selon Geneviève Lemal, directrice de Scope. Si les aides du Centre du cinéma restent indispensables, des mesures de flexibilité ont été votées pour ­compenser l’impact de l’épidémie sur le tax shelter - plafonds d’investissement doublés (de 220.000 à 440.000 euros) et possibilité de déplacer l’investissement d’une œuvre sur une autre pour minimiser les risques des investisseurs. “Les plateformes offrent une nouvelle manne aux auteurs, mais les producteurs indépendants doivent se battre deux fois plus pour avoir accès aux talents, et les dates de tournage se ­réduisent avec le Covid”, remarque Geneviève Lemal, suspendue aux éventuelles quarantaines qui remettraient en cause le planning de tournage du prochain film de Sophie Barthes avec l’actrice ­britannique Emilia Clarke.

netflix

© Unsplash

C’est donc tout l’écosystème de financement des contenus de création qui se trouve refondu. Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, Apple (et bientôt HBO Max) ont signé avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel français une obligation de consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires en France à des séries, films ou programmes français ou européens. Soit 250 à 300 millions d’euros par an, mais sans réelle garantie sur les droits de diffusion pour les auteurs. Les plateformes, nouveaux piliers du cinéma mondial ou menaces sur l’indépendance de la politique des auteurs? Si le brouillage entre audiovisuel et cinéma est bien à l’œuvre, l’inquiétude concerne aussi l’avenir de la création et peut constituer un jeu dangereux pour le cinéma.

Toujours en Belgique, rien qu’en ce mois de ­décembre, trois films primés à Venise sont sortis en salle quelques semaines avant leur diffusion sur ­Netflix. Le néowestern The Power Of The Dog de Jane Campion (Lion d’argent), la chronique de jeunesse de Paolo Sorrentino, La main de Dieu, et le drame maternel The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal. Idem pour la satire d’Adam McKay Don’t Look Up - déni cosmique avec Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence. Spencer de Pablo Larraín, portrait impressionniste de la princesse Diana avec Kristen Stewart, sort en salle avant d’être disponible sur Amazon à partir du 17 janvier 2022. Apple sort cette semaine en salle une magistrale ­version en noir et blanc du Macbeth de Shakespeare signée Joel Coen. Le film sera visible sur Apple TV à partir du 14 janvier.

Il faut peut-être se réjouir de l’accessibilité des œuvres, mais à terme, les plateformes ne vont-elles pas dévaluer le cinéma d’auteur? Dévaluation dont l’un des symptômes serait le changement de définition du terme “contenu” dans le monde du ­streaming, qui ne désigne plus “les idées que le film contient, mais sa réduction à un produit” - pour citer Marcos Uzal dans les Cahiers du cinéma de mars 2021. De la même manière - si l’on excepte les ­plateformes cinéphiles (Mubi, La Cinetek, Tënk, Sooner ou Avila en Belgique) -, l’offre de la plupart des plateformes repose sur les algorithmes et semble nier l’idée même de programmation. Cette absence d’éditorialisation, malgré la présence de classiques (Bergman, Chaplin, Demy, Sautet sont sur Netflix) qui vient presque faire contresens, risque de refouler le cinéma d’auteur dans le trou noir des plate­formes, tournant sans fin sur l’orbite désincarnée de la VOD mondialisée. Restons vigilants pour que vivent les auteurs et les autrices.

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