Polémique à Cannes: la réalisatrice de "Rodeo" choque en critiquant la police

Présente à Cannes, Lola Quivoron a suscité un débat sur le rôle de la police pour gérer les rodéos urbains. Un sujet déjà abordé par les sociologues.

Lola Quivoron à Cannes
Lola Quivoron à Cannes, le 20 mai 2022 @BelgaImage International Cannes film festival on may 20th 2022 *** Local Caption *** film RODÉO

Cette semaine, le festival de Cannes a décroché sa polémique de l'année. Au milieu de la tempête: Lola Quivoron, réalisatrice du film «Rodeo», nommé dans la section «Un certain regard». Lors d'une interview à Konbini, elle a notamment critiqué les forces de police pour leur rôle dans les dérives des rodéos urbains. Une position qui n'a pas manqué de provoquer l'indignation dans la cité méditerranéenne, amenant même le maire de la ville à réagir. Cela dit, elle n'est pas la seule à s'opposer aux méthodes des autorités pour gérer le phénomène.

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«Criminalisés à mort»

Au cours de son interview, Lola Quivoron explique entre autres être devenue proche de «cette communauté» connue pour faire des figures sur une seule roue à toute vitesse sur la voie publique «La pratique est très relayée par les réseaux comme à l'époque du skate-board. C'est un phénomène de société le cross bitume, la 'bike life...'», commente-t-elle. «Je me suis demandé quelle était la poésie de la pratique».

Elle regrette ensuite que les rodéos urbains soient «criminalisés à mort». «Les accidents, ils sont souvent causés par les flics qui prennent en chasse et qui créent une forme de précarité qui pousse du coup les riders vers la mort en fait concrètement», affirme la cinéaste.

«Pas convaincus par le propos de la dame»

Depuis, une pluie de réactions outrées s'est abattue sur Lola Quivoron, certains en l'insultant au passage. Plusieurs ripostent notamment en relayant un incident survenu en banlieue parisienne ce dimanche. À Pantin, un enfant de cinq ans a été sérieusement blessé lors d'un rodéo urbain, sans que son pronostic vital soit engagé. D'autres internautes évoquent des personnes décédées à cause de rodéos sauvages, comme à Amiens ou Libercourt.

Ce mardi 24 mai, le débat a fait son entrée dans l'arène politique avec la réaction sur Twitter de David Lisnard (LR, droite), maire de Cannes et président de l'association des maires de France. «Avec Yves Daros (chef de la police municipale de Cannes) et l'équipe de la police municipale de la mairie de Cannes nous n'avons pas été convaincus par le propos de la dame, qui ressemble à un sketch des Inconnus. Nous allons continuer de poursuivre et arrêter les auteurs de rodéos urbains. Notre hommage hier à son œuvre...», écrit-il. «Et de 9 en 2022. Nouvelle saisie à Ranguin d'une moto non homologuée et utilisée dans des rodéos urbains. Repérée et suivie par le centre vidéo municipal et intervention rapide et efficace de la police municipale, dont l'arrestation de son conducteur. On continue», précise-t-il.

Une activité banale

La guerre est donc déclarée entre ces deux camps bien décidés à s'affronter. Mais au-delà de ce dialogue de sourds, que disent les universitaires des rodéos urbains? Pour le savoir, le quotidien La Croix s'est tourné vers Anaïk Purenne, une sociologue de l’université de Lyon qui a côtoyé pendant des années des jeunes de Vaulx-en-Velin, ville connue pour ses rodéos urbains. Elle décrit une phénomène «très genré, qui concerne majoritairement des garçons âgés de 16 à 25 ans et qui sont attirés par les sports mécaniques, la vitesse et le risque». Elle note que pour ces jeunes, il s'agit d'une «activité complètement banale», notamment lors des beaux jours et les vacances, à l'instar de n'importe quel autre loisir comme les barbecues sauvages, les mini-piscines collectives, le foot ou encore la chicha.

« L’ennui, l’oisiveté, l’attrait de la transgression sont des explications» à la popularité des rodéos urbains, précise-t-elle auprès du journal Le Monde. «Pour certains, il peut s’agir de se montrer, d’exister, d’affirmer sa présence face aux discriminations qu’ils subissent quand ils veulent aller s’amuser comme tout le monde dans les centres-villes». «Pour autant, ce ne sont pas forcément des jeunes qui se socialisent dans un style délinquant», insiste-elle.

Laurent Mucchielli, lui aussi sociologue, spécialiste de la délinquance et des politiques de sécurité, ajoute que le rodéo urbain n'est que la continuité de ce qui se faisait avant. «Autrefois, c’étaient les mobylettes, puis sont arrivés les motocross, les scooters et enfin les quads. Les adolescents de quartiers populaires ou d’ailleurs sont très friands de ces engins. C’est d’une grande banalité», dit-il.

« Il faut sortir du tout-répressif»

Reste que cette pratique est dangereuse et pose de sérieuses questions de sécurité publique. Le problème, c'est que ces jeunes n'en ont pas vraiment conscience, déclare Anaïk Purenne: «Comme souvent dans les pratiques transgressives, le souci des autres disparaît derrière l’excitation. Le dialogue n’est pas toujours possible». «Il y a aussi une volonté de provoquer un peu la police», affirme-t-elle par ailleurs.

Alors forcément, lorsque les forces de l'ordre arrivent, il peut y avoir des étincelles. Pour Laurent Mucchielli, si cela se passe si mal dans les quartiers concernés, c'est clairement du fait des «relations entre les jeunes et la police». «Cela fait des années que la logique sécuritaire prédomine. Elle consiste à dire que ce phénomène est insupportable et que la police doit nous en débarrasser. Or, on n’est débarrassé de rien. Les tensions sont toujours là, et entraînent encore plus de soucis. L’intervention policière ne doit pas créer plus de problèmes que ce qu’elle est censée résoudre. Si l’intervention ne résout rien, c’est qu’elle n’est pas bonne et qu’il faut la changer», analyse-t-il en décrivant «un cercle vicieux» et «une logique vindicative».

Dès lors, que faire? Pour Anaïk Purenne, « il faut sortir du tout-répressif et agir localement. Les rodéos d’Argenteuil ne sont pas les même qu’à Vaulx-en-Velin. Si on veut mettre en place des actions efficaces, il faut faire dialoguer les jeunes et les habitants qui souffrent de leurs pratiques». Il pourrait par exemple être intéressant de proposer des activités touchant les jeunes concernés, ou de créer des associations invitant les habitants au dialogue. «La bonne façon de gérer un phénomène n’est pas de s’indigner et de crier qu’on doit l’éradiquer. Mais de le gérer intelligemment pour le tourner vers quelque chose de positif. Il faut une volonté, quelques moyens. C’est malheureusement une dynamique qui n’existe plus», se désole Laurent Mucchielli.

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