
Las Bestias, du grand art

“Lorsque j’ai vu Polisse de Maïwenn je suis tombé amoureux de Marina Foïs. Elle est toute petite mais il se dégage d’elle une force incroyable. Tu peux voir dans son visage qu’elle a vécu beaucoup”, lâche Rodrigo Sorogoyen, 40 ans, réalisateur superstar depuis l’haletant El Reino sur la corruption politique en Espagne. Ici, il adapte un fait divers retraçant au cœur d’un village de Galice le conflit d’un couple de néo-agriculteurs (les Néerlandais du fait divers sont devenus des Français car “il y a plein de raisons de détester l’arrogance des Français quand on est Espagnol”, plaisante-t-il en entretien par Zoom, et parce qu’il a vécu en France) avec deux frères qui pratiquent accessoirement la lutte avec les chevaux sauvages en les immobilisant et en coupant leur crinière en guise de domination. Car Las Bestias est avant tout un film de territoire, qu’il soit arpenté par le couple formé par Antoine et Olga (émouvants Denis Ménochet et Marina Foïs) ou par les frères Anta, bien décidés à ne pas partager un sol qu’ils estiment ancestral. Mais alors que les provocations se multiplient, Antoine décide de ne pas se laisser faire, jusqu’au point de non-retour.
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“La résonance de ce fait divers avec l’époque actuelle, c’est la xénophobie qui nous ronge. Comment peut-on en arriver à vouloir tuer l’autre? Deliverance de John Boorman était un de nos films de référence avec ma coscénariste. Je voulais aussi que le thriller devienne peu à peu une histoire d’amour, comme dans Les chiens de paille de Sam Peckinpah”, analyse Sorogoyen. Si la bestialité humaine est l’un des moteurs de son cinéma (la métaphore hybride des “aloitadores” pratiquant ce combat à mains nues avec des chevaux inaugure magistralement le film et constitue une clé narrative pour la suite), son art réel est de transformer l’ordinaire en spectaculaire, que ce soit l’intimité d’un couple qui s’aime depuis vingt ans (l’échange d’un regard ou le partage d’une cigarette quand le soir tombe, bien plus fort qu’une scène de nudité), ou l’angoisse sourde qui pèse peu à peu sur Antoine, forçant le spectateur à prendre une position morale. Et puis sans crier gare, le thriller masculin laisse peu à peu la place à un portrait de femme complexe portée par ce que la psychanalyste disparue Anne Dufourmantelle appelait “la puissance de la douceur”, incarnée ici par une Marina Foïs magnifique de résilience. Du grand art.
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*** Réalisé par Rodrigo Sorogoyen. Avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera - 137’.