
François Ozon sur Mon Crime : "La comédie est une coupe de champagne, ça doit être bon et pétillant"

Vingt ans après le succès de Huit femmes, et dans la veine de Potiche, le prolifique François Ozon adapte une pièce oubliée découverte pendant le confinement en visionnant La folle confession (1937), “screwball comedy” typique du cinéma américain avec Carole Lombard. “Comme Lubitsch ou Capra à l’époque, les Américains ont beaucoup adapté des pièces de théâtre françaises aujourd’hui oubliées”, rappelle Ozon rencontré aux Journées Unifrance à Paris. Mon crime suit l’histoire de Madeleine Verdier (la révélation Nadia Tereszkiewicz, César du meilleur espoir féminin), une actrice désargentée rendue célèbre par un crime dont elle s’accuse avec l’aide de Pauline son amie avocate (Rebecca Marder), jusqu’à ce que la vérité éclate… Au cœur du film se niche ce pétillant duo féminin dérangé par l’irruption cocasse d’Isabelle Huppert, et autour duquel gravitent une galerie de personnages masculins plus ou moins fréquentables - un amoureux un peu fat, un producteur sexiste, un juge lâche (Luchini), un patriarche dépassé (Dussollier) et un Dany Boon inattendu en protecteur pas si intéressé. Multipliant les citations à l’histoire du cinéma (d’Alice Guy à Danielle Darrieux en passant par les comédies burlesques à la Billy Wilder avec des personnages féminins forts et libres), le film est un pur plaisir cinéphile qui questionne les jeux de pouvoir et les artifices de nos vies.
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Mon crime joue avec l’histoire du cinéma. Est-ce un des moteurs de vos films?
François Ozon - Je suis un réalisateur cinéphile, j’assume. J’ai donc décidé de situer la pièce dans le milieu du cinéma - ce qui n’est pas le cas du texte original. Ce qui me plaisait, c’était ce rôle de fausse coupable, cette jeune fille qui joue la culpabilité et qui devient une bonne actrice dans le mensonge. La scène de procès n’existait pas dans la pièce, elle devient le centre de l’histoire avec le personnage de Madeleine qui n’a jamais été aussi bonne actrice que lorsqu’elle dit cette plaidoirie écrite par Pauline. J’ai eu envie de faire un film sur le jeu dans tous les sens du terme et sur le pouvoir de la fiction. Je voulais montrer qu’une vérité peut émerger dans l’artifice.
Vous offrez une réécriture féministe de la pièce qui entre en résonance avec les débats d’aujourd’hui…
C’est une vraie adaptation car la pièce a beaucoup vieilli. La délibération des jurés était d’une misogynie crasse. Il y avait aussi une rivalité entre Madeleine et Pauline, or je voulais une complicité entre elles. Le succès de la pièce à l’époque vient de ce qu’elle parlait des scandales qui éclataient dans la presse. J’en ai changé le thème et je l’ai tiré vers les rapports de pouvoir et de domination qui nous préoccupent aujourd’hui. Je voulais montrer comment deux jeunes femmes des années 30 parviennent à se sortir de la misère grâce à leur vivacité d’esprit. Elles mènent des stratégies pour payer leur loyer et petit à petit une conscience politique s’éveille en elles. Elles deviennent féministes un peu à leur insu.
On retrouve l’esprit de Huit femmes, avec un superbe trio d’actrices. Qu’est-ce qui vous fascine dans l’artifice féminin?
Ma première fascination vient de Romy Schneider. Très jeune, je savais qu’il se cachait quelque chose derrière Sissi. Nadia et Rebecca sont les Huppert et Adjani des années 2020 même si en les choisissant je n’avais encore vu ni le film sur Simone Veil ni le film de Sandrine Kiberlain. On a fait beaucoup de lectures et j’ai senti entre elles une alchimie, c’était très important pour moi qu’il n’y ait pas du tout de rivalité. Le personnage de Chaumette (Huppert) était un homme, une espèce de proxénète avec un langage de charretier. J’en ai fait une femme pour renforcer cette sororité même si quand Isabelle arrive, elle leur pique la vedette. Voir Isabelle Huppert, symbole de l’actrice intellectuelle, parler comme une poissonnière, c’était amusant. Je me suis beaucoup amusé à styliser, j’aime ce côté ludique du cinéma, ce côté enfantin de jouer à la poupée. Les actrices osent plus facilement jouer avec leur image même si c’est toujours plus violent pour elles dans la société.
Le film rend aussi hommage à Danielle Darrieux avec qui vous avez tourné Huit femmes…
J’ai adoré Danielle Darrieux. Madeleine et Pauline vont voir Mauvaise graine au cinéma pour être raccord avec l’époque, mais ses meilleurs films viennent après. Dans Madame de... de Max Ophuls, elle a une modernité de jeu incroyable. Une modernité très expressive avec une légèreté dans le drame. C’est très difficile à faire.
Dany Boon et Fabrice Luchini renforcent le côté comique de la pièce. Était-ce difficile à mettre en place?
La comédie est une coupe de champagne, ça doit être bon et pétillant et c’est ce qu’il y a de plus dur à faire. Dany voulait faire l’accent belge pour le film, mais il a laissé tomber et on a gardé l’accent marseillais! Il y a aussi Olivier Broche des Deschiens ou Jean-Christophe Bouvet, grand acteur de théâtre. J’ai eu un casting réjouissant avec de grands acteurs et de grandes actrices qui savent que ça n’est pas la grandeur des rôles qui compte, mais leur qualité. Le cinéma, c’est l’art du mélange.
*** Réalisé par François Ozon. Avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert - 102’.