
L'amour et les forêts, Misanthrope, Habib la grand aventure... Les films à ne pas manquer (ou à éviter) cette semaine

Habib la grande aventure ***
Le regard que porte Benoît Mariage sur les humains imparfaits qui traversent son cinéma est amusé autant que bienveillant. Tels Roger Closset dans Les convoyeurs attendent, Daniel Piron dans Cowboy ou José Stockman dans Les rayures du zèbre, tous trois interprétés par Benoît Poelvoorde. Tel Habib (Bastien Ughetto), jeune Belge issu de l’immigration marocaine qui entreprend une carrière d’acteur et n’en mène pas large. Coincé entre une communauté qui comprend mal sa vocation et un metteur en scène qui ne répond pas à ses ambitions artistiques, Habib est en pleine crise identitaire. Alors qu’il répète une pièce sur François d’Assise, un petit rôle lui est proposé dans un film avec… Catherine Deneuve!
La lecture de votre article continue ci-dessous
“L’histoire d’Habib résonne en moi, nous confie Benoît Mariage. J’ai entrepris des études de droit parce que je devais reprendre l’entreprise familiale, mais je voulais faire du cinéma. Alors je suis entré à l’Insas. Je me suis retrouvé dans un monde auquel je voulais adhérer mais qui était aux antipodes de mon monde d’origine. J’étais devenu un transfuge. J’ai dû forger ma personnalité entre ces deux mondes. J’étais honteux de dire que mon père était notaire. J’aimais le foot, mais à l’Insas, il valait mieux aimer Tarkovski.”
Le personnage d’Habib trouve aussi son origine dans l’histoire d’un étudiant croisé par Benoît Mariage il y a une dizaine d’années et qui a joué aux côtés de Catherine Deneuve dans Le tout nouveau testament de Jaco Van Dormael. Que la comédienne française soit au générique d’Habib la grande aventure n’est donc pas une coïncidence. Mais le défi pour le réalisateur fut de la persuader de jouer son propre rôle. “J’avais une demi-heure pour la convaincre, se rappelle-t-il. Le scénario était écrit. Si elle disait non, c’était mal barré. Et elle m’a dit: “Monsieur Mariage, s’il y a un truc que je ne fais jamais, c’est jouer mon propre rôle!” Ils avaient voulu l’avoir dans la série Dix pour cent, mais sans succès. C’était mort. Je lui ai dit que sans son accord, tout le scénario s’écroulait. Son rôle est petit mais pas anecdotique. Elle remet Habib en confiance par rapport à ses doutes. Et elle a accepté. Elle ne s’est pas sentie utilisée pour des raisons uniquement de production. Mais on n’en a vraiment jamais parlé. En fait je ne sais pas pourquoi elle a accepté. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a un petit côté punk!” - E.R.
*** Réalisé par Benoît Mariage. Avec Bastien Ughetto, Sofia Lesaffre, Catherine Deneuve - 88’.
L'amour et les forêts ***
Quand Blanche croise le regard de Grégoire, c’est le coup de foudre: cet homme est celui qu’elle n’attendait plus. Sauf qu’elle est à mille lieues de deviner ce qui l’attend vraiment. Derrière Grégoire, il y a un homme qui va tout faire pour éloigner Blanche de sa famille (notamment de sa jumelle), tout faire pour l’isoler dans un mariage où il va la manipuler, la rendre responsable des dysfonctionnements du couple, lui faire croire qu’elle est une mauvaise mère. Pervers narcissique, Grégoire va la harceler jusqu’à ce qu’elle finisse par le tromper, provoquant sa folie et sa violence. Valérie Donzelli (La guerre est déclarée et Notre-Dame) adapte ici le roman d’Éric Reinhardt paru en 2014, dans lequel le narrateur - l’écrivain sans doute - recueillait le témoignage d’une femme victime d’une relation extrêmement toxique. Dans le film, l’absence de cet “intermédiaire” dans le récit du calvaire de Blanche rend le drame de son quotidien encore plus proche et plus affreux. Une dimension tendue développée par la réalisatrice qui emprunte le vocabulaire du thriller pour construire sa narration. Dans le rôle de la victime qui doit choisir entre l’émancipation ou la mort, Virginie Efira est parfaite. Quant à Melvil Poupaud, il est glaçant de sadisme dans le rôle du mari harceleur. - E.R.
*** Réalisé par Valérie Donzelli. Avec Virginie Efira, Melvil Poupaud - 105’.
Blue Jean ***
L'Angleterre de Margaret Thatcher reste dans l’histoire comme une période de libéralisme décomplexé qui a réprimé durement les mouvements sociaux et connu une recrudescence de l’homophobie, comme l’a rappelé Empire Of Light de Sam Mendes. Georgia Oakley situe son premier film à la fin des années 80. Jean est une prof d’éducation physique qui préfère cacher son homosexualité pour ne pas faire de vagues dans l’école où elle enseigne. Lorsqu’elle croise une de ses jeunes élèves dans un bar de lesbiennes, elle se sent menacée. Basé sur une histoire vraie et bien documentée, Blue Jean rappelle qu’en 1988, un article de loi interdisait à toutes les institutions scolaires de “promouvoir l’homosexualité”. Récompensée pour le rôle-titre de ce film militant, Rosy McEwen livre une prestation d’une force impressionnante. Une grande réussite. - E.R.
*** Réalisé par Georgia Oakley. Avec Rosy McEwen, Kerrie Hayes, Lucy Halliday - 97’.
Misanthrope **
On avait quitté l’Argentin Damian Szifron avec un film à sketches à haut potentiel inflammable, tant ses Nouveaux sauvages avaient fait l’effet d’une bombe en 2014, révélant un talent hors norme pour sonder la violence sociale. On le retrouve déraciné ici pour son premier long-métrage en anglais avec ce thriller tourné à Baltimore. Un duo de flics (une jeune novice perturbée et un ponte du FBI sur la sellette) se lancent à la poursuite d’un tueur de masse qui les mènera jusqu’aux abattoirs de la ville. L’influence des thrillers culte des années 1990 affleure, de la noirceur misanthrope du Seven au Silence des agneaux pour son twist final plutôt vorace. L’assemblage psychologique des deux flics dysfonctionnels laisse un temps espérer le meilleur - avec Shailene Woodley en ancienne addict reconvertie et Ben Mendelsohn en flic parano qui perçoit le potentiel de sa protégée - mais le scénario reste souvent trop démonstratif, là où une série policière comme Mare Of Easttown incarnait vraiment son antihéroïne (Kate Winslet). Enfin, on reste dubitatif devant l’usage de la violence fait par Szifron. Si le discours du film est sans doute anti-armes à feu, le film ne nous épargne aucune fusillade (une trentaine de victimes dès l’ouverture puis une récidive dans un centre commercial). Il se vautre in fine dans une débauche d’hémoglobine dont la mise en scène ne nous met pas suffisamment à distance, perdant du même coup la critique sociétale recherchée. - J.G.
** Réalisé par Damian Szifron. Avec Shailene Woodley, Ben Mendelsohn - 119’.