
La Wallonie, future terre de jeux vidéo?

Soixante-huit milliards de dollars. C’est le montant du rachat de Activision Blizzard, poids lourd du jeu vidéo (Call Of Duty, World Of Warcraft), par Microsoft (Xbox). Un chiffre mirobolant qui rappelle le poids économique du secteur. Avec ses 175 à 200 milliards d’euros de revenus, le jeu vidéo représente plus de 50 % du marché du divertissement mondial. Une croissance ininterrompue par la crise sanitaire, au contraire du cinéma et de la musique. On retrouve désormais des studios de développement partout dans le monde. Et même en Wallonie, où les pouvoirs publics ont pris conscience du potentiel du domaine. Sur les 84 entreprises actives dans le jeu vidéo en Belgique en 2020, 17 sont wallonnes (contre 60 en Flandre) et représentent plus ou moins 200 emplois pour un chiffre d’affaires d’environ 10 millions d’euros. Il s’agit surtout de petites structures, de moins de 10 équivalents temps plein.
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En décembre, le fonds d’investissement public Wallimage, consacré à l’audiovisuel wallon, a lancé sa division Gaming, dotée d’une enveloppe de 2,5 millions d’euros pour soutenir la création de jeux. Elle aidait déjà le secteur depuis plusieurs années, mais uniquement en investissant dans les sociétés. “Cela ne suffisait pas pour impacter l’industrie, expliquent Sophie Augurelle, chargée du Gaming chez Wallimage et Virginie Nouvelle, directrice générale. Pour qu’elle se développe, que des entreprises se lancent, que des emplois se créent, fabriquer des jeux doit coûter moins cher.” Avec ce nouveau fonds, les studios pourront financer leur production mais aussi des prototypes, essentiels pour se vendre auprès d’éditeurs et d’investisseurs. De ce côté-là également, un grand pas vient d’être réalisé. Il y a peu, aucun fonds privé n’était dédié au jeu vidéo. En 2021, deux ont été lancés: Inviga, pour la Belgique et la France, et ForsVC, uniquement consacré à notre pays.
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Développer l’industrie du jeu vidéo en Wallonie n’est pas qu’une opportunité économique, mais aussi un enjeu de fuite des cerveaux. La Belgique n’a pas encore vraiment d’image à l’international dans le domaine, nos écoles et formations, elles, rayonnent. En Wallonie, la Haute École Albert Jacquard, à Namur, se distingue particulièrement. Elle lance d’ailleurs un master, qui permettra notamment d’acquérir des compétences en management et gestion. Chaque année, 150 diplômés en jeu vidéo sortent des établissements wallons. La majorité part travailler en Flandre ou à l’étranger. “On n’en est plus à l’amateurisme. On est au moment où les pouvoirs publics prennent conscience du potentiel de l’industrie”, commente Björn-Olav Dozo, chargé de cours en culture vidéoludique à l’ULiège et cofondateur du Liège Game Lab, collectif de recherche qui étudie le jeu vidéo comme objet culturel au sens large. “L’écosystème devrait se mettre en place progressivement. On a les formations, de l’intérêt culturel, des capitaux privés qui sont investis… Et puis, désormais au pouvoir, une génération qui a grandi avec les jeux vidéo. Le verrou de la question de la légitimité a sauté.”
En Wallonie, trois studios se détachent du lot. Appeal Studios, à Charleroi, est le plus gros employeur de Belgique dans le secteur, avec une cinquantaine de collaborateurs. En 2021, il a été racheté par l’important éditeur international THQ Nordic, qui va aider les Carolos à proposer Outcast 2: A New Beginning, suite de leur jeu culte de la fin des années 90.
Du côté de Liège, ils sont une quinzaine à former l’équipe d’Abrakam, qui développe des jeux de stratégie basés sur des systèmes de cartes à jouer, comme Faeria, succès critique et commercial, et plus récemment Roguebook. Enfin, à Mons, Fishing Cactus sont les vétérans et pionniers. Lancés en 2008, ils comptent désormais 25 personnes. “L’important est de trouver le créneau sur lequel on veut se démarquer”, explique le CEO, Bruno Urbain. Les deux derniers jeux du studio, bien que très différents, reposent sur une mécanique de dactylographie. Pour jeter des sorts ou résoudre des énigmes, il faut taper des mots sur son clavier. “Ce sont des jeux assez atypiques, de niche. Mais il y a un public pour cela et il est peu servi. On fidélise donc nos joueurs et on reçoit beaucoup de retours.” On retrouve aussi plusieurs centres d’activités en réalité virtuelle qui conçoivent leurs propres jeux, notamment à Mouscron, Liège, Spy et Louvain-la-Neuve. Puis, forcément, des petites PME d’une poignée d’employés. Par exemple, Maratus a été fondé en avril 2020 par quatre personnes et travaille sur Arisen, “un jeu narratif engagé où on doit réagir avec ses émotions plutôt qu’avec des actions à une histoire immersive autour de sujets sensibles comme le racisme et le sexisme”, décrit Wendy Broeckx, directeur technique et cofondateur. Pas complètement terminé, il est déjà jouable “en accès anticipé” et s’est vendu “correctement”.
Next level
Désormais, toute l’industrie vidéoludique wallonne n’attend qu’une seule chose: un Tax Shelter, comme pour le cinéma. Un tel incitant financier permettrait de soutenir encore plus les productions belges et rendrait le pays attractif et compétitif aux yeux des investisseurs étrangers et des entreprises internationales. Mais le combat pour faire voir le jeu comme un produit culturel au niveau européen, où cela bloque, est encore long. “Je ne veux pas attendre, conclut Jean Gréban, coordinateur de Walga, association du jeu vidéo en Wallonie. Je préfère que la Région avance sur tous ses piliers: la formation, la création d’entreprises, l’accompagnement… Sinon le monde continuera de tourner sans la Belgique. Avec l’investissement public et les fonds privés, il y aura un effet d’entraînement. Le Tax Shelter, s’il arrive, ça sera la cerise sur le gâteau.”