

A l’été 58, Annie Duchesne rejoint une colonie de vacances. Elle quitte pour la première fois sa famille et entre dans un monde jeune, éduqué, mixte où, monitrice sans don ni expérience, elle n’est plus cette petite reine admirée pour ses résultats scolaires. Elle connaît quelques moments d’exaltation plus encore d’humiliation. Sa première expérience sexuelle est un désastre. « Elle ne fait que ce dont il a envie ». Et parce que tous les romans et toutes chansons qui la bouleversent la préparent à l’amour, elle accumule les maladresses pour accrocher son moniteur-chef. A la fin de l’été, Annie a 18 ans et un programme : devenir la « blonde » accomplie qu’il lui a préférée. Puis son ambition dévie. Elle commence à faire d’elle « un être littéraire ». Bientôt, elle choisit une autre vie, prend un mari et son nom, devient professeur et mère.
Mais cette honte originelle commandait une réparation, une révolte qui s’inscrira dans des livres toujours plus purement autobiographiques, dont « le plus haut degré possible de réalité » finit pour raconter « n’importe qui d’autre ». Il lui faudra attendre une douzaine d’années pour être publiée et commencer une œuvre capitale. Pour sonder son existence de « transfuge social » et de femme, Annie Ernaux a inventé une écriture et documenté des vérités largement absentes des romans français (aujourd’hui, bien sûr, elle soutient Edouard « Bellegueule » Louis). Son obsession de la mémoire, et du sens qu’elle tente de lui attacher, la rapproche du monumental Patrick Modiano. C’est dire si Ernaux en général, La Place, Passion simple, Les Années en particulier sont immanquables parmi les immanquables. On peut tout aussi bien plonger avec ce dernier livre qui est, en quelque sorte, le premier. Elle y écrit : « Je ne suis pas culturelle, il n’y a qu’une chose qui compte pour moi, saisir la vie, le temps, comprendre et jouir ». La vie, le temps, en des pages forcément immenses.
MEMOIRE DE FILLE
Annie Ernaux, Gallimard, 151p.