
Règne animal: entre douleur des hommes et souffrance animale

Le roman est composé tel un diptyque porté par une langue magistrale et envoûtante. La première partie remonte aux origines de la ferme familiale, dans une province sombre et superstitieuse où l’on voit le mal partout. À la veille de la Première Guerre, la mère, sévère bigote qui préfère ses bêtes à sa fille, soigne le père qui crache sa vie en attendant de rendre son âme à Dieu. Livrée à la solitude et aux tâches ingrates, la jeune Éléonore s’amourache secrètement du cousin Marcel qu’elle n’aura pas le temps d’aimer avant la mobilisation générale. Revenu défiguré des tranchées, Marcel fera un fils à Éléonore - Henri. C’est lui que l’on retrouve soixante ans plus tard dans la deuxième partie du récit qui se déroule dans les années 80, à la tête de l’exploitation familiale devenue un élevage industriel de porcs…
Jean-Baptiste Del Amo fait un travail tétanisant sur l’écriture pour nous faire flairer la violence des généalogies et raconter la brutalité du labeur paysan. Les descriptions foisonnent (“pullulent” serait plus juste) de parfums mortifères, d’odeurs écœurantes, d’effluves de cadavres putréfiés, d’images de décomposition - la longue scène de l’agonie, de la mise en bière et de l’enterrement du père est, à ce titre, une totale réussite et un moment de lecture époustouflant. La douleur des hommes est au centre de ce livre magnifique qui évoque aussi la souffrance animale à une époque où rien de l’intégrité des animaux n’est pris en considération. Militant de la cause animale, Del Amo livre une fresque de chair et de sang, sublime et - malgré le sujet bourrin - d’une élégance rare.
La lecture de votre article continue ci-dessous
RÈGNE ANIMAL, Jean-Baptiste Del Amo, Gallimard, 432 p.