
"L'extase totale" remonte la filière drogue du IIIe Reich

L’histoire du nazisme, c’est comme une drogue. On a beau avoir eu sa dose, il en faut toujours plus. Régulièrement, un ouvrage paraît qui promet un éclairage révolutionnaire sur la personnalité de Hitler ou les dessous de son règne. Dernière approche en date, les narcotiques, justement. Dans L’extase totale, le journaliste allemand Norman Ohler décrit Adolf Hitler comme un irrécupérable junkie, à la tête d’une Wehrmacht tout aussi défoncée et guide suprême d’un peuple massivement gavé d’amphétamines.
La coke a-t-elle sa place dans les grandes lignes de l’histoire du nazisme? Premier indice, les travaux de Norman Ohler ont été salués par Ian Kershaw et Hans Mommsen. Soit le plus grand spécialiste vivant de l’hitlérisme et l’une des grandes figures de l’historiographie allemande. On confirme: ce livre, construit comme une narration vivante plutôt qu’une thèse académique, est, oui, hallucinant.
L’histoire du “national-socialisme en gélules”, comme l’appelle l’auteur, commence en fait au début du 19e siècle, au moment où l’Allemagne passe maître dans l’art de produire des psychotropes. C’est outre-Rhin que la morphine et l’héroïne ont été découvertes. Au siècle suivant, la défaite de 1918 fournit à l’industrie un prétexte d’expérimentation idéal, puisqu’il s’agit de trouver de nouveaux produits de synthèse remplaçant les substances issues des territoires coloniaux désormais perdus. Avant-guerre, l’Allemagne devient le premier exportateur d’héroïne. Et produit 40 % de la morphine mondiale.
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Des psychostimulants très demandés
L’Allemagne produit, l’Allemagne consomme aussi. Entre l’humiliation militaire et la crise économique, la population se lance volontiers à la poursuite de paradis artificiels. D’après Norman Ohler, 40 % des médecins sont morphinomanes dans le Berlin des années 20. Mais la légèreté de mœurs de la République de Weimar n’est pas du goût des nazis, qui s’apprêtent à prendre le pouvoir. Dès 1933, les toxicomanes sont ainsi fichés, tracés, bannis du corps social. Dans leur vision raciale du monde, les nazis identifient les drogues, au même titre que les Juifs, comme un poison menaçant la pureté du sang aryen.
Pas toutes les drogues, cependant. Les pyschostimulants artificiels permettant d’accroître la productivité sont particulièrement demandés. Comme l’explique ce médecin chef d’un hôpital, l’essor économique allemand réclame son tribut: “Notre époque en flux tendus exige un haut rendement et impose de grands devoirs, comme jamais auparavant”. En octobre 1937, la société Temmler dépose alors le brevet d’une version de méthamphétamine (oui, la même que la “crystal meth” de la série Breaking Bad). Son nom commercial: Pervitin. Le consommateur, décrit Norman Ohler, “se sent parfaitement réveillé. Ses sens sont affûtés, il a le sentiment d’être plus vivant, électrisé jusqu’au bout des doigts. La confiance en soi s’en trouve accrue, on croit penser en accéléré, s’ensuit une impression d’euphorie, de légèreté et de fraîcheur”. Sans parler du stress qui diminue et de la libido qui décolle.
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L’EXTASE TOTALE, de Norman Ohler. La Découverte, 256 p.