
Rencontre: quand des policiers deviennent auteurs de polars à succès

Le haut de la liste des best-sellers est leur demeure. Ils y sont bien et, au grand désespoir des autres, ils ne comptent pas déménager. “Il y a mille polars qui sortent chaque année en France, et qui racontent à peu près tous la même chose, réussir à faire sa place parmi les trois auteurs les plus vendus, c’est une jouissance, ce qui n’empêche pas d’essayer de se renouveler”, avoue Olivier Norek qui place Dans les brumes de Capelans dans le top 3 des meilleures ventes. Juste devant lui, Bernard Minier glisse Lucia en deuxième position, talonnant Joël Dicker en première place.
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Pour Bernard Minier, ce sommet de popularité “est une grande satisfaction et un grand défi puisqu’on a envie de rester en haut et pour rester en haut, il faut se challenger.” Si le premier poursuit la saga de Victor Coste, son personnage fétiche, le deuxième expérimente un nouveau profil, celui de Lucia, flic madrilène venue concurrencer sur son terrain Martin Servaz, double “de l’ancien siècle” et flic vedette chez les lecteurs et les lectrices de Minier.
Dans les brumes de Capelans nous emmène dans l’île de Saint-Pierre, confetti de terre français au large de l’Atlantique, où Victor Coste accueille, dans le cadre d’un programme de protection des témoins, une jeune femme fraîchement libérée des griffes d’un serial prédateur. Pour rendre l’atmosphère du lieu à la nappe de brouillard près et palper la texture des paysages, Olivier Norek, qui sait écrire, a fait le voyage à Saint-Pierre. “Je suis allé trois mois sur place, raconte-t-il. Je suis un auteur de terrain, comme j’étais flic de terrain.” Car oui, Olivier Norek est policier - enfin, était… “J’étais capitaine de police dans le 93, l’endroit le plus crimimogène de France. J’étais en disponibilité depuis dix ans, mais j’ai écrit ma lettre de démission et je ne serai plus capitaine de police à partir du mois de juin.” Olivier Norek est un flic “pas prévu pour l’écriture” qui produit une littérature de délassement dont l’ambition est de refléter le monde tel qu’il est et tel qu’il court à sa perte. Son territoire de prédilection - l’actu - et sa méthode - l’immersion - l’ont mené vers le dossier des migrants (Entre deux mondes) et la question climatique (Impact), livrant un point de vue précis et expert du boulot de flic, toujours sur le fil du rasoir entre éthique professionnelle et goût du divertissement.
Ce qu’on peut dire, et ce qu’on ne peut pas dire
“La question qui se pose est la suivante: ce que je vais raconter dans mes romans va-t-il contrarier le travail des policiers? argumente Olivier Norek. J’ai toujours fait attention à cela et je n’ai jamais été convoqué par ma hiérarchie à propos du contenu de mes livres. 95 % de ce qui se trouve dans mes livres sont des histoires vraies, le reste, c’est de la romance. Même le service de résidence surveillée du programme de protection des témoins et des repentis des Brumes de Capelans est vrai. J’ai appelé ce service, classé secret défense, pour leur expliquer mon projet et les gens me disent ce que je peux raconter et ce que je ne peux pas. Quand je travaillais pour la série Engrenages, les scénaristes ont voulu écrire sur des méthodes d’écoute des téléphones portables révélées par des consultants policiers. Je n’étais pas d’accord parce que ces méthodes n’étaient pas connues des criminels. Je leur ai dit: “Si vous sortez ça, ce sera sans moi.”
Norek s’est beaucoup inspiré de son expérience dans la police: construction d’intrigues, description de situations, profils de personnages. Il a tellement puisé dans son vécu qu’il a, en toute logique, imaginer à son image un héros qu’il avoue avoir fait “un peu plus baraqué” que lui. “Victor Coste, c’est moi, il travaille dans le même service de police, il a le même mental - il n’est tourné que vers la victime et la justice. Quand j’étais flic de terrain et qu’on me donnait un ordre que je trouvais immoral ou que je ne comprenais pas, je ne l’appliquais pas. Exemple: on m’a demandé de faire un contrôle d’identité dans une file d’attente de sans-papiers à la préfecture. J’ai répondu que faire un contrôle d’identité à des gens qui n’ont pas de papiers revenait à faire une rafle… Je me suis arrangé pour que, le lendemain, à la préfecture, il n’y ait personne dans la file d’attente…”
Horaires de fonctionnaire
“Olivier Norek écrit ses livres avec, derrière lui, toute son expérience de policier de terrain, mais moi, dès que je commence un livre, je dois tout faire, tout découvrir”, explique Bernard Minier qui, dans la première enquête de Lucia Guerrero, met en scène un tueur esthète confectionnant ses scènes de crimes en s’inspirant des Métamorphoses, mais aussi - plus spectaculaire - des tableaux de la Renaissance et du Baroque. Une aventure qui dévoile, derrière les murs de l’université de Salamanque, un groupe de geeks, étudiants en criminologie, qui bosse sur un programme de croisement de fichiers…
Pour info, dans sa première vie, Bernard Minier n’était pas vendeur en boutique… Même s’il dit ne s’être jamais inspiré d’un dossier tombé sur son bureau, et avoir tourné la page, son long passage au service de contrôle des douanes a influencé son quotidien d’auteur de polar. “Mon travail au service des douanes a eu une influence sur ma discipline d’écrivain, explique-t-il. Je suis un écrivain diurne avec des horaires très précis qui sont en fait des horaires de fonctionnaire. J’ai aussi pu m’inspirer de mon expérience dans le service des douanes lorsqu’il s’est agi de décrire des rapports hiérarchiques que j’ai pu observer dans mon ancien boulot.”
Ce boulot qui n’a rien en commun avec celui de Norek a tout de même permis à Bernard Minier de palper une réalité qui, dans les fantasmes du commun des mortels, est source d’aventures. “Je travaillais pour une cellule chargée d’adapter au niveau national les législations européennes, poursuit-il. Un service qui sert de courroie de transmission entre la Commission européenne et les bureaux de douane en France. Je me suis occupé des biens à double usage - à usage civil et militaire. Dans les années 90, on surveillait toutes les exportations vers l’Irak puisqu’on soupçonnait Sadam Hussein de vouloir fabriquer sa bombinette.”
Consciencieux et surtout conscient qu’on lui laissera rien passer, Bernard Minier - qui connaît bien l’Espagne (sa mère est d’origine espagnole) - a visité plusieurs fois l’université de Salamanque, histoire de s’imprégner du climat particulier de cette institution fondée en 1218. Rendez-vous plutôt faciles à décrocher car, pour en revenir à la caution délivrée par la liste des best-sellers, “une fois que vous avez du succès, toutes les portes s’ouvrent, y compris celles de la police” .
Dans les brumes de Capelans
Olivier Norek
Michel Laffon, 429 p
Lucia
Bernard Minier
XO Éditions, 474 p.