
Décès de Cormac McCarthy : notre critique de son livre Le Passager

Notre homme est un mythe. En 55 ans, en comptant ce dernier diptyque, il a signé douze romans. Du Tennessee et du Texas au Nouveau-Mexique, il s’est tenu loin des villes ou des universités prestigieuses. Pour son National Book Award (De si jolis chevaux en 92), il a donné une interview au New York Times, puis rideau. Même son Pulitzer en 2007 et le succès de La route ne lui ont pas remué un sourcil. Après une première et dernière télé face à Oprah Winfrey, il a même cessé de publier. Les quatre oscars remportés par les frères Coen avec le jouissif No Country For Old Men (Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme en livre et en 2005) lui ont peut-être donné l’envie de s’y frotter. En tout cas, la dernière preuve d’un McCarthy au travail fut son scénario original - ou plutôt délabré - pour Cartel de Ridley Scott (Alien, Gladiator) et Michael Fassbender, Brad Pitt, Cruz - Bardem, Cameron Diaz… Il avait alors 80 ans. Dix ans plus tard, que peut-on espérer des 800 pages du Passager (paru en mars) et de Stella Maris (paru en mai)?
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Mi-dieu, mi-animal
L’an passé aux USA, aujourd’hui en France, les critiques ont été prudemment élogieuses. On ne tire pas sur le fier vieil homme. On préfère louer le style d’un roman expérimental. Ses pages ont en effet la beauté d’un tableau qui ne serait plus figuratif et pas encore abstrait. Le sujet s’y devine. Comme souvent, McCarthy plante des scènes dont la compréhension vient ensuite. Ici l’élucidation tarde. On commence sur le suicide de la sœur du héros, puis sur un des neuf chapitres d’hallucinations schizophrènes. Le frère, grand mathématicien amoureux (incestueux?) de cette jeune beauté foudroyante au génie foudroyé, s’est reconverti en pilote de course, puis en plongeur de récupération qui explore le mauvais avion englouti dont un des passagers a disparu et est recherché par des hommes en noir. On oubliait sa copine trans et le père de la famille, juif réfugié aux USA pour y concevoir la bombe atomique. C’est chargé. Au gré de conversations brillantes et interminables (souvenirs du Viêtnam, exploits de soudure à 170 mètres de profondeur…), on avance vers une fin qui ne dissipe aucun mystère (on n’est pas chez Joël Dicker).
Si vous aimez McCarthy, vous ne pourrez pas vous empêcher d’aller voir par vous-même. Pour les autres, il vaut mieux commencer par un de ses premiers romans gothiques, entre Faulkner et Nick Cave (il a d’ailleurs signé la musique de The Road), plus encore avec un des trois volumes indépendants de la mélancolique Trilogie des confins, ou mieux, par le furieux Méridien de sang sur les guerres indiennes ou La route, fable post-apocalypse sur ce qu’est l’humanité, mi-dieu, mi-animal.
** Le passager de Cormac McCarthy, Éd. de l’Olivier, 538 p.