

Depuis dix ans, l’Intime Festival accompagne ce moment de bascule qui marque la fin des grandes vacances et l’arrivée de la rentrée. Grâce à des lectures littéraires orchestrées avec la douceur d’un coucher de soleil, Namur nous fait l’été indien avant l’été indien. “Ce n’est pas un salon, ce n’est pas une foire, c’est autre chose”, prévient Chloé Colpé - directrice du festival dont elle est la cofondatrice avec Benoît Poelvoorde, grand mangeur de livres. Le temps d’un week-end, Namur devient la capitale de la littérature, lieu d’un immense trafic de mots pour dire comment nous habitons le monde et comment le monde va. Des comédiens et des comédiennes (le casting 2023: Laurent Capelluto, Yannick Renier, Claire Bodson, Laura Sépul…) viennent lire des textes d’auteurs et d’autrices, invités à s’entretenir avec des interlocuteurs qui, toujours sur le ton de l’intime, les amènent à se livrer sur les moyens et les raisons de leur engagement en littérature. L’année dernière, le festival a accueilli 5.000 spectateurs venus fêter le dixième anniversaire d’un rendez-vous qui, selon sa directrice, se trouve désormais “sur la carte des événements littéraires importants”. Comme à chaque édition, la programmation de l’Intime résonne avec les courants de pensée qui traversent la société et se construit sur les choix de Chloé Colpé et Sylvie Ballul, comité de lecture à deux têtes. “Tout cela est très subjectif, avoue la directrice. Nous ne programmons qu’une dizaine d’auteurs, donc ça fonctionne surtout au coup de cœur avec, en fil conducteur, ce qui nous relie et nous bouleverse.”
On conseillera la visite chez Anthony Passeron (le 20 août) et Tomasz Jedrowski (le 20 aussi), tous deux primo-romanciers. Le premier a décroché le prix Première pour Les enfants endormis, très beau roman enquête sur l’histoire du sida racontée à travers la maladie de son oncle, toxicomane emporté par le virus au début des années 80. En même temps que le tableau d’une époque, Passeron dresse le portrait d’une famille de l’arrière-pays niçois qui, loin des cercles privilégiés, ne comprend rien à ce qui lui arrive. Le second, dans Les nageurs de la nuit, met en scène Ludwik et Janusz à Varsovie à la veille de la proclamation de la loi martiale décrétée en 1981. Un roman qui, au-delà de sa dimension sentimentale, montre que la question de l’homosexualité (quel que soit son décor) est un sujet politique.
Anthony Passeron © BelgaImage
Cette onzième édition de l’Intime est marquée par la présence massive d’auteurs et d’autrices belges. “Je ne veux pas lire en fonction des nationalités, précise Chloé Colpé. On n’a jamais travaillé par quotas, on nous l’a parfois reproché, mais il se trouve que, cette année, la production belge est magnifique.” En amorce à la rentrée littéraire, Antoine Wauters (le 19) et Charly Delwart (le 20) présentent leur nouveau livre - Le plus court chemin, pour l’un et Que ferais-je à ma place?, pour l’autre. Dans des tonalités très différentes, les deux textes, autobiographiques, explorent les pistes de la construction de l’être. Dans les années 80 en Ardenne - “face aux collines de Hoyemont, au-dessus de l’Ourthe et de l’Amblève” - pour Wauters qui livre un récit écrit “comme quelqu’un qui ferait un puzzle”; aujourd’hui dans un étonnant jeu de questions-réponses pour Delwart qui finit par dresser un autoportrait fragmenté.
Dans une enquête littéraire à travers laquelle elle se met en scène, Myriam Leroy (le 20) évoquera Le mystère de la femme sans tête, reconstitution d’un événement oublié de la Deuxième Guerre: la décapitation de Marina Chafroff, jeune femme russe exilée à Ixelles. L’occasion d’ouvrir le chapitre des oubliées de l’histoire… Le même jour, Lize Spit, écrivaine néerlandophone, apparue dans le paysage avec un best-seller, Débâcle (dont on pourra bientôt voir l’adaptation au cinéma), retracera la genèse de Je ne suis pas là, thriller domestique qui s’appuie sur son expérience de la bipolarité en tant que spectatrice impuissante de la dérive de l’autre.
Lize Spit. © PhotoNews
Enfin, on ira aussi écouter Dominique Celis (le 20), nouvelle venue qui, dans Ainsi pleurent nos hommes, fait entendre la confession d’une femme dont l’esprit, envahi par le souvenir du génocide au Rwanda, tente de cicatriser la blessure d’un amour perdu.
“Le festival, qui a un public relativement jeune, a très vite trouvé son architecture, rappelle Chloé Colpé. Notre évolution a été pluridisciplinaire, même si - au début, on n’aurait jamais eu les épaules assez larges pour imaginer Le journal de Namur avec Édouard Baer alors que, cette année, il revient pour la deuxième fois dans une scénographie plus travaillée.” Et s’il y a bien un happening à ne pas rater en dehors des lectures et des rencontres, c’est bien ce Journal de Namur, revue iconoclaste où défilent des anonymes. Chorales, fanfares, chanteurs amateurs, stand-uppers du coin, ils ont trois minutes pour séduire, introduits par un Édouard Baer qui fait du Édouard Baer (on sait où ça commence, on ne sait jamais où ça finit, mais c’est toujours magnifique). La première édition (dans une salle bondée) avait enchaîné les moments de bravoure et d’émotion, prouvant que la poésie, parfois, il n’y a qu’à se baisser pour la ramasser.
INTIME FESTIVAL - CHAPITRE XI, les 18, 19, 20/8. Théâtre de Namur. www.intime-festival.be