
Jain: "Je n’oublierai jamais ce qui m’est arrivé en 2016"

Le 11 janvier dernier, Jeanne Galice, alias Jain, a reçu en lever de rideau de l’Eurosonic, à Groningen, un European Border Breakers Award (EBBA). Ce trophée, décerné ces dernières années à Selah Sue, Agnes Obel ou encore Mélanie De Biasio, récompense les nouveaux artistes dont le succès a dépassé les frontières nationales. Un prix qui va à merveille à cette jeune Toulousaine dont la musique nomade est le fruit d’une enfance passée à bourlinguer aux quatre coins de la planète…
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Chevelure stricte et robe sobre à col blanc, Jain a mis du soleil dans les chaumières en malaxant pop, hip-hop, instruments traditionnels et laptop. Une fille de son temps, Jain. Sur son premier album “Zanaka” (“enfant” en malgache), elle fait fantasmer son quotidien, bricole ses chansons dans son coin, cabosse les refrains d’effets zarbi et fait rimer “Afrika” avec “Miriam Makeba”. Cette Shiva pluridisciplinaire poursuit sa route. Après la remise des prix à Groningen, Jain a prévu d’enregistrer de nouveaux morceaux à Paris avec la complicité de Yodelice, déjà à la production de “Zanaka”. Habituée à se produire seule sur scène avec son looper, Jain nous reviendra en formule groupe cet été.
Paru à l’automne 2015, votre album “Zanaka” a mis plusieurs mois avant de décoller. Avez-vous craint qu’il passe inaperçu ?
JAIN - Quand “Zanaka” est sorti, je n’avais pas d’attentes particulières. J’avais envie que les gens l’écoutent, mais je savais aussi que c’était un album “difficile” car les chansons partent dans tous les sens. Des gens du département marketing de ma firme de disques me disaient “ce n’est pas assez clair”. J’ai pris le risque et finalement, ce “pas assez clair” est devenu ma marque de fabrique. Sur ce premier album, il y a du reggae, de la pop anglo-saxonne, de l’électro, de la musique africaine. Ça correspond à ce que j’écoute depuis que je suis toute petite. Et si le disque a fonctionné, c’est aussi parce que beaucoup de gens sont comme moi. Ils n’écoutent pas seulement un style de musique.
Le look très prude que vous affichez dans vos clips et sur les photos promo est en parfait décalage avec votre musique. C’est voulu ?
JAIN - J’ai fait une école d’art. Je connais l’importance de l’image. Je sais qu’avant d’écouter ma musique, les gens vont voir la pochette du disque ou mon clip. Ce look de fille amish, ces robes à col Claudine rappellent que je suis une fille timide et peu extravertie dans la vie de tous les jours. Pour moi, c’était important de prendre cette facette de ma personnalité et de l’exacerber sur scène avec une musique effectivement très festive. Ce qui est marrant, c’est que je vois beaucoup de filles venir avec des robes à col Claudine à mes concerts. J’ai contribué à relancer la mode.
Dans la chanson Hob, vous dites “La vie me semble facile”. Est-ce autobiographique ?
JAIN - C’était autobiographique. J’ai écrit Hob à l’âge de seize ans. Je vivais encore avec mes parents. Je trouvais que la vie était “easy”. Et puis je suis partie pour tenter ma chance dans la musique et j’ai galéré pendant plusieurs années. Je n’écrirais plus la même chanson aujourd’hui. Les paroles de Hob sont candides mais je la chante encore aujourd’hui pour me rappeler la fille que j’étais.
Jusqu’à l’adolescence, vous avez mené une vie de nomade avec vos parents. C’est cette expérience qui nourrit vos chansons ?
JAIN - Comme mon père travaille pour une compagnie pétrolière, j’ai voyagé au gré de ses affectations. Dubai, Pointe- Noire au Congo-Brazzaville, le Moyen-Orient… Cette enfance déracinée a complètement modifié ma vision du monde, et donc ma musique. Ce premier album raconte ce parcours.
En 2016, chaque fois qu’un artiste français sortait un album, il disait que c’était en réaction aux attentats et à la morosité ambiante. Est-ce votre cas ?
JAIN - Le disque est sorti une semaine avant les attentats de Paris. Il est rythmé, solaire et 100 % positif car j’ai toujours considéré la musique comme un vecteur de fête. Au Congo-Brazzaville, quand les musiciens se produisent en public, c’est pour faire la fête et danser. Même dans les cérémonies religieuses, les gens ne restent pas les bras croisés quand un groupe joue. “Zanaka” a été enregistré dans ce même esprit. Et s’il permet en effet de s’évader en ces temps difficiles, il n’est pas directement lié aux attentats.
Est-ce qu’il y a eu un concert ces derniers mois où vous avez senti que vous franchissiez un échelon supérieur ?
JAIN - Il y en a eu plein, mais c’est l’été dernier que je me suis rendu compte que ma musique touchait du monde. J’ai fait pour la première fois les festivals. Souvent je jouais en lever de rideau, en début d’après-midi. Je me disais: “Tu chantes à 14 h, tu es seule sur scène, personne ne viendra te voir à cette heure-là”. Quand j’ai ouvert le festival Les Vieilles Charrues, il y avait 35.000 personnes devant la scène. C’était la canicule, la journée était encore très longue et tout le monde dansait. Ouah… J’oublierai jamais ce truc comme je n’oublierai jamais ce qui m’est arrivé en 2016.
Si votre maison de disques vous dit: “Tu peux t’offrir une folie sur ton deuxième album”, que faites-vous?
JAIN - Je demande à Kendrick Lamar de venir chanter avec moi. Mais ça n’arrivera pas. J’enregistre déjà mon nouvel album à Paris courant janvier. On garde la même équipe. Ça s’est parfaitement bien passé avec Yodelice sur mon premier disque et il en sera de même avec celui-ci.
Le 9 août au BSF.