

Le rap francophone connaît ses nouveaux patrons. Derrière les empereurs Booba et Damso, il y a les rois Lomepal et Roméo Elvis. Moins polémiques, plus édulcorés, tout aussi égocentriques, ces deux chevelus décloisonnent les frontières du hip-hop avec des figures acrobatiques dégotées sur les pistes de skate et une énergie empruntée au rock. Amis dans la musique, potes dans la vie, le Bruxellois et le Parisien partagent de nombreux points communs. Bosseurs et romantiques, farfelus et drôlement ouverts d’esprit, les garçons ont signé les gros cartons de l’année écoulée. Lomepal triomphe avec l’album “Flip”, suivi de près par le “Morale 2” de Roméo Elvis, par ailleurs grand favori des D6bels Music Awards qui seront décernés ce 26 janvier. Réédités dans des versions luxueuses, ces deux disques vont encore beaucoup faire parler d’eux.
LOMEPAL - D’abord indirectement. J’étais tombé sur des titres de L’Or du Commun, groupe dans lequel jouait Roméo Elvis. Quelques semaines plus tard, Caballero, mon grand copain bruxellois, m’a fait écouter une démo de Roméo en solo. Le truc s’appelait Bruxelles arrive. C’était énorme. Sur base de cette maquette, je l’ai contacté pour lui proposer d’assurer ma première partie à Paris…
ROMÉO ELVIS - C’était en juin 2016, dans la petite salle du Pan Piper. C’est là que j’ai joué Bruxelles arrive pour la première fois.
L. - Avec ce titre, le grand public a capté qu’il se passait quelque chose d’énorme en Belgique. Derrière, on a découvert l’existence de La Smala, Damso, Hamza ou JeanJass & Caballero. Dans la culture populaire, Bruxelles arrive est la marque de fabrique de l’école belge.
R.E. - Quand je l’ai composé, c’était plus qu’une chanson. C’était une déclaration d’intention. Les Belges voulaient se faire entendre à Paris. Avec du recul, je pense que nous avons réussi notre coup… Nous avons touché la France au-delà des attentes. Aujourd’hui, Bruxelles arrive est toujours autant apprécié. Mais dans mon esprit, ce titre est symptomatique de l’époque où je jouais en première partie de Lomepal. Il n’y aura pas de Bruxelles arrive au Stade de France, à Wembley ou sur la lune. À partir du moment où je joue sous mon nom à l’Olympia, je ne peux plus tenir un discours d’outsider. Et puis, je n’ai pas envie d’écœurer les gens avec ce tube.
Quand j'ai composé Bruxelles Arrive, c’était plus qu’une chanson. C’était une déclaration d’intention.
L. - Après ce concert, nous sommes devenus inséparables. Nous avons même décidé de faire les quatre jours du Dour Festival ensemble. Nous avions loué une Festihut dans le camping.
R.E. - C’était parfait. Ce moment a une saveur particulière. Parce que c’est la dernière fois que nous avons vécu les concerts de façon innocente, comme des mélomanes lambda. Maintenant, sur les festivals belges et français, nous ne pouvons plus nous balader sans nous faire capter. Les festivaliers veulent faire des photos, discuter… Nous avons gagné en popularité et perdu en intimité. C’est la rançon du succès.
R.E. - Nous ne sommes pas des rappeurs conventionnels. Nous ne sommes pas enfermés dans des codes. Lomepal et moi sommes fascinés par des domaines extérieurs au hip-hop. Le skate et le cinéma pour lui, le vélo et le rock pour moi. Ces centres d’intérêt un peu décalés expliquent aussi pourquoi on s’entend si bien. En 2017, le rap n’est plus confiné dans ses clichés. Pour des gars comme Lomepal et moi, cette ouverture d’esprit est une aubaine.
Certains trouvent même qu’on se ressemble physiquement…
L. - Dans le délire de chanter sur des instrus cataloguées hip-hop, dans l’attitude et l’imagerie décalée, nous sommes sur la même longueur d’ondes. Après, on se distingue au niveau de l’écriture. Notre façon de rapper est différente. Artistiquement, nous sommes de la même famille. Certains trouvent même qu’on se ressemble physiquement…
R.E. - Ce n’est pas faux: deux grands minces aux cheveux longs qui se tiennent de la même façon sur scène. Quand nous travaillons ensemble, je le comprends, je décrypte facilement ses envies. Parce qu’elles sont proches des miennes. Lomepal est mon alter ego français. Nous partageons le même trip égocentrique. Nous avons d’ailleurs envisagé la possibilité de rassembler nos nombrils autour d’un même projet…
R.E. - Oui, nous avons composé quelques morceaux en vue de former un groupe. Nous sommes allés voir des beatmakers comme deux négociants en matières premières. Nous avons vécu de belles aventures, des trucs pas nets, et puis nous avons pris la décision de nous concentrer sur “Flip” et “Morale 2” avant de tenter le coup à deux. Je pense que nous avons fait le bon choix.
Bien que hip-hop, vos univers incorporent des éléments très rock. C’est un vice caché?
R.E. - Je ne m’en cache pas. J’adore l’énergie de Rage Against The Machine et je reste un fan absolu de Jimi Hendrix.
L. - C’est un style que nous maîtrisons mieux que les autres rappeurs. Dans mes textes, je fais des clins d’œil à Janis Joplin, à Lou Reed ou aux Cramps. Quand j’étais jeune, je n’écoutais que du rock. Une fois ado, j’ai changé de bord. Je suis devenu un monomaniaque du rap.
R.E. - J’ai essayé de monter sur une planche quand j’étais petit. Mais je suis super-nul. Du coup, j’ai un rapport complexe aux skateurs. Ils m’énervent. Les mecs se la racontent. Ils incarnent le cool. Mais la vérité, c’est que j’aurais bien voulu être un skateur. J’adore leur style.
L. - Toute ma culture musicale vient de là. Dans les vidéos de skate, chaque mec roule sur une bande-son taillée pour ses tricks. Quand tu kiffes trop le skateur - et j’en kiffe beaucoup -, t’as envie de reproduire les mêmes tricks sur les mêmes chansons. Pendant longtemps, j’ai associé la musique à des figures acrobatiques. C’était ma borne d’écoute personnelle. Le titre de mon album, “Flip”, est d’ailleurs un hommage assumé à toute la communauté des skateurs.
L. - “Morale 2” est une réussite. Il a des morceaux que j’adore, d’autres moins. Roméo le sait bien. On se dit tout. J’ai longtemps fait une fixette sur Nappeux. Ensuite, j’ai écouté en boucle Les hommes ne pleurent pas. Je kiffe à mort Sabena aussi. Après, j’aime un peu moins Drôle de question. C’est super bien fichu, mais c’est moins mon style…
R.E. - À la première écoute, j’ai trouvé “Flip” plutôt cool. Au fil du temps, j’ai capté des détails et d’autres sonorités. Quand un disque parvient à déclencher ce genre de réaction, c’est qu’il est réussi. Son album est d’une richesse inouïe. Un point négatif? Il vend plus que moi. En une semaine, il a écoulé autant de disques que moi en trois mois. Au niveau des streams, je plafonne à 180.000 écoutes par semaine et lui, il en tape 380.000. Il est plus consommé que moi. Je suis un peu jaloux, j’avoue.