Billie Eilish : La fille au dessus de tout

“Happier Than Ever”, son nouvel album très attendu témoigne de son travail acharné sur les codes de la pop. Portrait d’une artiste de 19 ans qui a le monde à ses pieds.

Billie Eilish - Happier Than Ever

Elton John la place au même niveau que Billie Holiday. Dave Grohl, l’un de ses premiers fans, dit qu'elle lui rappelle toute la folie autour de Nirvana. À 19 ans, Billie Eilish est la voix de sa génération. Commercialisé sur tous les formats imaginables ce 30 juillet (il sort même en cassette audio), son deuxième album “Happier Than Ever” est le disque le plus attendu de l’année.

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Superstar des ventes physiques et des streams numériques, Billie Eilish est aussi l’artiste la plus suivie sur les réseaux sociaux. Le 17 mars dernier, elle postait une photo qui a battu le record de rapidité pour atteindre le million de “likes” sur Instragram: six minutes. Trois heures plus tard, elle affichait dix millions de “likes”. Sur ce cliché, Billie dévoilait sa nouvelle coupe de cheveux: un dégradé avec une frange et, surtout, une teinture blonde. Aujourd’hui, cette photo est la troisième la plus regardée depuis la création d’Instagram…

Mais attention, Billie Eilish n’est pas qu’une influenceuse qui a tout compris des nouveaux outils de promotion. Si elle est particulièrement méticuleuse dans sa com’ et que son utilisation des réseaux sociaux renvoie les community managers à leurs études de marketing, elle est aussi une artiste au talent unique. Elle n’a pas raflé sept Grammy Awards par hasard et elle n’est pas pour rien la plus jeune chanteuse à avoir décroché le trophée de l’Album Of The Year avec “When We Fall Asleep, Where Do We Go?” paru voici deux ans et demi.

Si ses chansons cartonnent au sommet des charts, s’infiltrent dans tous les algorithmes des plate­formes, passent en radio aussi bien en matinale qu’en “nocturne” et nourrissent quantité de soundtracks de séries télé, Billie Eilish ne respecte pourtant jamais les codes la pop mainstream. Riche de seize chansons, ce deuxième album confirme sa démarche. Non seulement aucun titre ne présente la même structure mais ça ne ressemble à rien d’autre de ce qu’on peut écouter ailleurs. Ce n’est pas du hip-hop et c’est encore moins de l’électro pop formatée avec couplet/refrain. Il n’y a aucun featuring, pas de beatmaker connu, pas de producteur tendance, pas la moindre “patte” d’un directeur marketing. Rien de tout ça.

Son frère, seul collaborateur

“Happier Than Ever” est du 100 % Billie Eilish. Ou plutôt du 100 % Billie/Finneas Eilish. Depuis son premier single Ocean Eyes, qu’elle a sorti à l’âge de 14 ans, la jeune fille travaille exclusivement avec son frère. Billie a choisi Eilish comme  nom d’artiste. Finneas O’Connel, son aîné de quatre ans, a gardé celui de leur père. Comme ce fut le cas pour “When We Fall Asleep, Where Do We Go?”, ils ont composé ce nouvel album dans leur chambre de la maison parentale (un bungalow en fait) située au nord-est de Los Angeles. “Les chansons d’“Happier Than Ever” ont été créées entre le printemps 2020 et l’hiver 2021”, a précisé Billie dans l’émission Late Night de Stephen Colbert. “Je ne pense pas que ce disque aurait été le même s’il n’y avait pas eu le Covid. Mais pour autant, cela ne signifie pas que l’album parle de la pandémie.

Dans le docu The World’s A Little Blurry proposé en exclusivité sur Apple, on voit comment ils bossent. Billie a une idée. Finneas prend sa guitare ou son piano. Il place des accords, Billie ajoute la voix, écrit les textes et puis intervient dans la manipulation sonore. La voix est déformée, il y a variations de volume, des imperfections techniques, des infrabasses tellement lourdes à supporter pour les oreilles qu’elles seraient supprimées sur les productions de Dua Lipa ou Ariana Grande. Sauf que Billie Eilish n’est pas Dua Lipa ou Ariana Grande. Sans la moindre formation académique, elle n’en fait qu’à sa tête. Elle ne suit aucune règle car elle n’en a appris aucune. Elle peut partir sur un rythme latino (Billie Bossa Nova), interpréter à la perfection une ballade pop épurée (My Future), se contenter d’une guitare acoustique (Your Power) ou s’appuyer sur de l’électro (Therefore I Am). À chaque intro, c’est la surprise. On ne sait pas où elle et son frangin vont nous emmener. Mais ça ne tombe jamais dans l’expérimental. Il y a une mélodie, une trame, une envie de signer un tube.

Métamorphose

Côté textes, la porte est laissée ouverte à différentes interprétations. Mais il y a beaucoup d’elle dans ce disque. En Belgique, en 2019, Billie Eilish est passée en six mois d’intervalle d’un concert à La Madeleine donné dans l’indifférence médiatique (deux journalistes seulement s’étaient accrédités, dont Moustique) à une prestation au Pukkelpop devant 65.000 personnes et des dizaines de caméras. L’artiste s’est métamorphosée mentalement et physiquement sous l’œil du public. Plusieurs chansons (Getting Older, My Future, Everybody Dies) évoquent en filigrane cette expérience et son questionnement sur le temps qui est passé trop vite.

On connaît aussi les combats menés par la chanteuse. Sur le climat, contre les discriminations raciales, en faveur de la communauté LGBT ou sur le droit d’aimer, eh oui, la junk food comme elle le montre dans le clip de Therefore I Am tourné au iPhone dans un centre commercial. À la première lecture, un morceau comme Your Power pourrait ainsi sonner comme une dénonciation de toutes les formes d’agression et une revendication à être “comme on est”. “Si vous sentez que vous êtes bien dans votre corps, alors vous êtes bien dans votre corps. Faites ce que vous voulez quand vous le voulez. Le reste on s’en fout”, déclarait-elle en mai dernier dans la version anglaise du Vogue.

Et de joindre la parole à l’image… Dans les pages du magazine glamour, elle affichait sous l’objectif de Craig McDean les formes de son corps qu’elle avait jusqu’alors dissimulées sous des bermudas et des sweat-shirts amples. Mais Your Power peut aussi être compris comme une méfiance, voire une (auto)critique à l’égard du pouvoir des influenceuses trop parfaites et des stars aux millions de likes dont elle fait partie. Ce qui n’empêchera pas ses fans de se teindre les cheveux en blond après avoir osé le bleu et le vert à l’époque où elle chantait Bad Guy

Le 28/6, Sportpaleis, Anvers (Complet).

Billie Eilish ***
Happier Than Ever
Interscope/Universal

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