
Des Nuits Solidaires de haut vol à Namur

Oui, comme partout en Belgique, la météo était ronchonne ce week-end sur les hauteurs de Namur. Oui, entre serrage de mains d’invités syndicalistes et débats seulement suivis par les convaincus, l’ambiance au trop vaste village solidaire était tristounette. Oui, il y aurait pu avoir un peu plus de monde à la soirée d’ouverture où se produisaient Les Innocents en formule groupe. Mais, et c’est le principal, la musique de qualité était au rendez-vous de cette édition particulière des Nuits Solidaires qui s’est déclinée sur quatre soirées entre l’esplanade de la Citadelle et le Théâtre de Verdure avec sa magnifique acoustique.
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Raphael, le beau Bizarre
Prenez Raphael. Avec "Haute Fidélité", l’artiste français a sorti l’une des meilleurs albums français de l’année. L’un des plus sous-estimés aussi. Ce samedi, c’était son premier concert hors des frontières françaises depuis le début de la pandémie. Des retrouvailles placées sous le signe de l’audace. Raphael revient avec un groupe solide. Il joue plus souvent de la guitare électrique que de l’acoustique. Les sonorités sont rock. Même si on y retrouve ses tubes radio (Ne partons pas fâchés en ouverture, l’inusable Caravane avec un solo de guitare à la Prince en rappel), sa setlist est radicale.
Comme il le chante au milieu de cette prestation éblouissante, Raphael est "un mec bizarre". Et on aime les mecs bizarres. Il tient un peu de Christophe, un peu de Bashung dont il déterre le magnifique Les Salines qu’il lui avait écrite. Il a aussi indéniablement des poses dylaniennes, et pas seulement quand il sort son harmonica. Il a surtout une saine coolitude quand il s’adresse au public et une poésie bien à lui qui nous fait rêver.
Tout en plaisantant avec une fan qui va lui réclamer Caravane entre chaque pause, Raphael réussit à imposer son nouvel album sous le ciel namurois menaçant. Et c’est du tout bon : Personne n’a rien vu et son intro futuriste, Maquillage Bleu sur lequel il fait rimer "Christophe en Ferrari" et "Hallyday Johnny", Je suis revenu ou encore Le Train du Soir qu’il chante sur son disque avec Pomme. Privilégiant l’émotion à la routine, jouant à l’envie plus qu’au calcul, Raphael ne se répète jamais dans ses tournées. Ce samedi, il a été tout simplement magistral. On le reverra en 2022, dans un tout nouveau spectacle mêlant théâtre et chanson qu’il inaugurera aux Bouffes du Nord à Paris. Une éclipse, son nouveau roman est annoncé chez Gallimard le 23 septembre.
Unanimité pour Pomme
Nous avons posé plusieurs fois la question autour de nous et nous avons toujours recueilli la même réponse. Pomme a fait une nouvelle fois l’unanimité. Deux semaines après une prestation cinq étoiles au Ronquières Festival et deux semaines avant son concert complet aux Nuits Botanique (le 9/9), Claire Pommet a rappelé à Namur qu’elle était le présent et certainement aussi l’avenir de la chanson française à haute valeur ajoutée.
Auteure, compositrice, interprète à la voix naturelle, Pomme est aussi une musicienne défricheuse. A la guitare ou à l’autoharpe (instrument découvert, a-t-elle expliqué, dans les mains de June Carter grâce au biopic de Johnny Cash Walk The Line), elle insuffle de jolies nuances à ses chansons pop. Elle a aussi cette faculté de mettre en avant son engagement ou ses doutes (Anxiété, Je sais pas danser, Pourquoi la mort te fait peur) sans jamais plomber l’atmosphère. Même si "Les Failles" datent de 2019, on ne se lasse pas des chansons de ce deuxième album qui lui a valu une double consécration aux Victoires de la Musique. Sortie de sa bouche en version guitare/voix, les mots du Désanchantée de Mylène Farmer résonnent comme un nouvel hymne de la génération Covid dont a volé une partie de la jeunesse. Comme chez Raphael (ils n’ont pas fait un duo pour rien), Pomme sait que la magie du live se nourrit de spontanéité. Sa formule 100% féminine (avec une batteuse et une claviériste) lui convient à merveille.
Les Belges aussi
Jeunes marathoniennes de cet été en mode Covid Safe Ticket, Charles et Doria D sont partout. Et c‘est à leur talent et leur travail plus qu’aux circonstances (elles étaient prêtes à tourner contrairement à d’autres) qu’elles le doivent.
Charles sous les nuages

Seule artiste francophone à avoir été programmée cet été à Rock Werchter (elle était aussi invitée au Pukkelpop qui a été annulé), Charles propose un set parfaitement rôdé qui tourne autour de son EP "Falling While Rising". Mais à chaque prestation, elle apporte du nouveau. Ce samedi à Namur, c’est une belle reprise de Mad About You qui nous a fait oublier la pluie. Réflexion d’une jeune femme de son époque et traversé de sonorités modernes qui n’éclipsent pas sa culture rock, son EP évoque les violences conjugales, les ruptures, la mort mais aussi l’espoir et la volonté de lâcher prise. Alternant ballades (l’émouvant Far Gone qui fait user les batteries de smartphones), pop gothique et morceaux plus trash (on adore sa version live de Riddle), sa prestation confirme qu’elle est -bien- à sa place partout où elle se produit et devant n’importe quel public. On la revoit le 27 novembre au Botanique et on se dit que la Rotonde est déjà bien trop petite pour elle.
L’insouciance de Doria D
Pour Doria D, le Botanique, ce sera le 9 décembre. Originaire de Louvain-la-Neuve, elle jouait presque comme à la maison. Sorti juste avant l’été, son premier EP 6 titres montre qu’elle ne sera pas la fille du seul hit Dépendance et qu’elle ne s’enferme pas dans un seul genre musical. Sur scène, Doria D s’amuse comme dans une cour de récré. Il y a de l’insouciance, assumée notamment dans sa reprise du Jeune et Con de Saez. Il y a beaucoup de complicité avec le public et son groupe fait le job. Comme chez Charles, on apprécie chez Doria D cette volonté de se présenter sur scène avec un vrai projet musical qui ne tient pas dans une clé USB et une formule en copié/collé pour chaque morceau. Vivement l’album.