
Multitude, le nouvel album de Stromae, est une réussite totale

L’album le plus attendu de l’année est enfin là. Riche de douze morceaux, “Multitude” sort ce vendredi 4 mars. Comme ce fut le cas avec le concert magistral donné par Stromae au Palais 12 ce 22 février, «Multitude» a le mérite de remettre la musique à l’avant-plan. Après les coups marketing, les décryptages d’experts en communication et les débats sur l’éthique journalistique ayant suivi son apparition au 20 Heures de TF1, on peut revenir à l’essentiel. Chacun se fera bien sûr sa propre opinion. Mais sur un plan purement artistique, il n’y a aucun doute. C’est une réussite. “Multitude” est un disque qui fédère, se donne les moyens de ses ambitions internationales tout en étant particulièrement audacieux dans sa démarche.
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Dès le début de sa carrière, Paul Van Haver avait montré la singularité de son approche. Souvenez-vous. Alors On Danse, Papaoutai, Formidable. Trois énormes tubes mainstream. Oui. Mais aussi trois histoires différentes, trois styles musicaux différents (new beat, afro pop, chanson) et trois univers visuels différents. Et pourtant, c’est la même personne qui se retrouve derrière pour toucher les gens avec des mots simples, des textes vrais et des musiques entraînantes. Et si ses chansons nous parlent, c’est parce qu’elles parlent souvent de nous. Cette formule, qui a fait le succès de “Cheese” (2010) et de “Racine Carrée” (2013), se répète à l’infini sur “Multitude”. Stromae justifie, du reste, ce nom de baptême "pour la multitude d’influences musicales qu’on y entend et la multitude des personnages interprétés".
Des sons du monde entier
Jamais sur un disque chanté en français, nous avons entendu autant de sons venus d’ailleurs. La curiosité de Stromae est sans limite, comme l'est désormais son terrain de jeu. Sur “Multitude”, on découvre des percussions d’Asie du Sud-Est, des guitares sud-américaines, des violons chinois, de l’afro-pop, des infrabasses trap, des polyphonies des îles, des xylophones, du clavecin… Parfois tout ça sur le même morceau, à l’instar de C’est du bonheur. Sur cette chanson contant les joies de la paternité dans un vocabulaire trivial (il fait rimer “pipi” et “vomi”, “caca” et “papa”), les instruments nous font voyager d’Amérique du Sud à la Chine, avec un détour par la case Afrique..
“Multitude” est un album métissé, un disque d’ouverture qui mélange les styles du monde entier pour toucher… le monde entier. Pas du genre à se contenter d’un logiciel informatique ou de la banque de sons de Garage Band, Paul Van Haver a convié les musiciens du Belgian National Orchestra sur pas moins de six titres de l’album. Pour ces chansons, c’est Bruno Letort, compositeur et directeur d’Ars Musica qui signe les arrangements. « J’ai parfois ajouté des éléments rythmiques et mélodiques, parfois des couleurs, explique Bruno Letort dans un entretien accordé à La Libre Belgique. Dans L’enfer, par exemple, qui traite de la dépression, je voulais quelque chose qui symbolise le fait de ne pas pouvoir échapper à la maladie. Ainsi, les accords se répètent, tournant comme une boucle sans fin. Au début de cette chanson, il y a aussi une mélodie basée sur les sons acides que l’on entend. C’est un vibraphone joué avec un arc. »
«Putain de maladie»
Comme le concert “avant-première” du Palais 12, l’album s’ouvre par Invaincu, l’une des chansons les plus hargneuses jamais enregistrées par Stromae. Privilégiant un flow rap vindicatif qui n’est pas sans évoquer son pote Orelsan sur L’Odeur de l’Essence, Stromae lutte contre « cette putain de maladie ». Et il finit par en avoir raison. « J’ai du mal à l’écrire. Et du mal à le dire. Même affaibli. Jusqu’au dernier cri. Tant que je suis en vie, je suis invaincu. » Également dévoilé en live au Palais 12, Fils de Joie raconte le quotidien de la prostitution (traite des femmes, insécurité, tarifs pour les clients fidèles) du point de vue d’un enfant. « Je suis un fils de pute comme ils disent », chante Stromae en clin d’œil au « Je suis un homo comme ils disent », d’Aznavour. Un sujet jamais facile à traiter que Stromae désamorce avec une mélodie imparable.
Vous connaissez déjà tous L’Enfer sur lequel il revient sur ses envies sombres de suicide. La déprime au quotidien est également abordée sur le diptyque Mauvaise Journée/Bonne Journée. Ces deux chansons qui clôturent le disque partagent les mêmes situations avec les mêmes mots, seul le ressenti est différent. La morale coule comme de l’eau de source : il est plus intelligent de positiver. Dans son ton, son urgence et ses sonorités joyeuses, Bonne Journée sera un autre méga tube à mettre à son actif.
Santé à Rosa
Stromae croque également notre vie sentimentale sur “Multitude”. Très nuancée dans ses percussions, La Solassitude dresse le portrait de ces personnes qui collectionnent ami(e)s et conquêtes dans le monde réel et/ou virtuel. A force de vivre par procuration, elles finissent par se retrouver seules. Balayé de sonorités sud-américaines, Pas Vraiment s’interroge, pour sa part, sur la routine du couple et fustige l’entourage toxique des “faux” amis qui donnent leur avis sur tout. Stromae observe sans prendre de la hauteur et sans donner de leçon. Souvent amer, son constat vient se nourrir de son propre ressenti. Il rappelle d’ailleurs, dans une capsule postée sur YouTube, que la Rosa qui lui a inspiré Santé, son ode aux héros du quotidien, est bien réelle. C’est le prénom de sa femme de ménage. « C’est elle qui m’a donné l’inspiration. Elle nettoyait chez moi pendant qu’on faisait la fête et qu’on foutait le bordel. »
Prochain disque plus joyeux
Sept ans après “Racine Carrée” et onze ans après “Cheese”, “Multitude” conclut une trilogie. « Je n’ai pas voulu faire un recueil de mémoires », se défend-il dans Télérama. « Mais après trois albums à parler de choses tristes sur une musique entraînante, je me dis que le prochain devra être non pas lisse, mais tout de même plus joyeux. »
Le 19/6, Werchter Boutique. Le 10/7, Les Ardentes, Liège. Le 17/8 au Cabaret Vert, Charleville-Mézières. 15/3/2023, 16/3, 17/3, 1/6, 2/6, 3/6, Palais 12, Bruxelles.
Stromae, Mulltitude, Mosaert/Universal. Sortie 4 mars