Placebo: «Cet album, c'est comme un retour à la case départ»

Réduit à un duo comme à ses débuts, le groupe retrouve sa flamboyance sur “Never Let Me Go”, un huitième album qu’on n’attendait plus.

Placebo
© DR

Nous avions quitté Placebo en 2017. Le groupe célébrait alors sur scène son vingtième anniversaire. On sentait un parfum ­suranné de ­nostalgie. On devinait la lassitude. On redoutait une dissolution. Il y a eu un long silence, mais après une poignée de (bons) singles, Placebo renaît de ses cendres et retrouve toutes ses couleurs sur son huitième album “Never Let Me Go”. Brian Molko et Stefan Olsdal, dont les ­chemins se sont croisés pour la première fois lorsqu’ils partageaient à l’adolescence les bancs de l’American International School au grand-duché de Luxembourg, ont ­presque tout fait à deux. Le disque a été enregistré à Londres sans gros budget dans le home studio de Stefan. Il sort sur un “petit” label indépendant, So ­Recordings. Et le résultat est bluffant.

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Le binôme réussit à rappeler la flamboyance glam et le romantisme pop exacerbé de ses débuts. Mais il montre aussi son envie de sortir de sa zone de confort. ll n’est (presque) plus question de drogue, d’éternelle adolescence ou de sexualité dans les textes de Brian. Sur un ton souvent introspectif, Placebo observe et constate l’urgence (climatique) ou la perte (des valeurs, des repères, de la confiance en soi). Les claviers sont davantage mis en avant. Traversées de sonorités modernes, de cordes (The Prodigal, “notre Eleanor Rigby”, nous précise ­Stefan Olsdal), de piano (la ballade métaphysique This Is What You Wanted) et de tubes (Beautiful James, le très Bowie Hugz, Twin Demons),”Never Let Me Go” est l’album qu’on n’attendait plus de Placebo.

Quel est votre état d’esprit à la veille de la sortie du disque?
Brian Molko - Ces derniers mois, il y a eu de l’anticipation, de la frustration et de l’impatience. Pour les raisons que vous connaissez, la sortie de cet album a été repoussée à plusieurs reprises. Nous avons eu plus de temps que d’habitude pour douter, analyser, nous poser des questions. Jamais un album de Placebo n’a suscité autant de réflexions. Et comme j’ai cette tendance pessimiste à toujours me projeter dans un scénario ­catastrophe, ce n’était pas une période facile. Maintenant, on sait que le disque existe, qu’on ne peut plus rien changer et que nous allons ­reprendre les concerts.  C’est ce que nous savons faire de mieux. Ça nous excite beaucoup, mais il y a aussi de la nervosité car ça fait longtemps que nous n’avons plus joué.

En quoi “Never Let Me Go” diffère-t-il des albums précédents de Placebo?
B. M. -
Dès que nous avons commencé à travailler sur ce disque, il nous a paru évident qu’il fallait qu’on change notre manière de travailler. Contrairement à nos sept albums précédents, “Never Let Me Go” n’a pas été écrit avant d’être enregistré. Il est davantage le fruit d’une improvisation que nous avons faite, Stefan et moi, dans son home studio à Londres. C’est une construction.

Stefan Olsdal - Pour nous préserver de l’ennui et de la routine, on a commencé cet album dans le sens inverse. Nous avions l’artwork, le titre du ­disque et même celui de certaines chansons avant même de les avoir composées. Avec son loop à la harpe et ses distorsions, la chanson Forever Chemicals est un exemple d’accident heureux qui est arrivé en studio. Notre album débute par ce morceau aux sonorités étranges afin de surprendre les fans comme il nous a nous-même surpris. Mais on retrouve aussi l’identité de Placebo. Avec ses claviers, son énergie, sa ligne mélodique, notre premier single Beautiful James rassemble tout l’ADN du groupe. C’était notre manière de dire: “Eh, on est de retour après toutes ces années. Vous nous avez oubliés, voilà le genre de musique qu’on faisait”.

https://www.youtube.com/watch?v=KudGpbfWYrI

Avec son artwork qui évoque l’urgence climatique et ses chansons parlant de désillusion, “Never Let Me Go” est-il un album qui reflète le monde d’aujourd’hui?
B.M. -
L’insécurité, la paranoïa, les inégalités ou encore une certaine forme de désespoir qui émerge un peu partout ont peut-être eu une influence sur l’atmosphère du disque, mais 85 % des chansons ont été écrites avant la pandémie. On ne voulait pas évoquer le Covid car cela aurait sonné daté. La meilleure manière d’être dépassé en tant qu’artiste, c’est d’essayer de ­coller aux tendances et aux “topics” du moment. Ce n’est pas notre truc.

S.O. - Placebo n’a jamais écrit des chansons pour dire aux gens comment ils doivent penser ou réagir. Nous sommes des musiciens et des créateurs. “Never Let Me Go” reflète nos sentiments quand nous l’avons enregistré il y a plus de deux ans. C’est un instantané. Aujourd’hui, il ne nous appartient plus. À la lueur de la pandémie, de ce qui se passe en Ukraine ou de leur propre expérience, les gens vont l’interpréter différemment. Les chansons ont leur propre vie désormais. Nous devons l’accepter.

Le titre Hugz a été inspiré par une photo punaisée dans votre studio: celle où vous êtes avec David Bowie lors de son concert 50e anniversaire en 1997. Un moment fort pour Placebo?
S.O. - C’était une soirée complètement dingue. En janvier 1997, Placebo était au début de sa carrière. On avait seulement un disque à notre actif. Dans le backstage du Madison Square ­Garden, on croisait Prince et Naomi Campbell. Robert Smith, Sonic Youth, The Pixies, Lou Reed… Tous nos héros étaient là et Bowie était tellement sympa avec nous. J’ai beaucoup pensé à Bowie en faisant Never Let Me Go. Il y avait cette photo dans le studio, mais je me rappelle aussi ce qu’il m’avait dit lors d’un concert en ­Italie où on assurait sa première partie: “Stefan, tu as une belle voix, tu devrais chanter plus souvent”. Il m’a fallu sept disques de Placebo pour suivre son conseil. Je n’ai jamais assuré autant de chœurs que sur “Never Let Me Go”. Bowie m’a permis d’avoir confiance en moi.

Après les derniers concerts australiens de votre tournée anniversaire en 2017, certains médias ont évoqué la fin du groupe.  Vous y avez pensé?
S. O.  -
Vous savez, les rumeurs… Personnellement, il est vrai que j’ai traversé une crise de ­confiance.  J’étais confus sur ce qu’était devenu Placebo, sur ce que cette entité représentait encore. J’avais passé la moitié de ma vie dans ce groupe et je me posais des questions. L’enthousiasme de Brian m’a encouragé à me lancer dans l’aventure de ce nouvel album et ça a agi comme une thérapie sur moi. Brian m’a dit: “Faisons le disque à deux en studio”. C’était un peu comme un retour à la case départ. À nos débuts, au milieu des années 90, nous voulions créer ensemble une musique qu’on n’entendait pas ailleurs et qu’on avait envie d’entendre: un mélange de rock, de glam, de pop arty avec des synthés. Plusieurs fois pendant l’enregistrement de ”Never Let Me Go”, j’ai eu le sentiment de me retrouver dans cette situation…

Comme musiciens et êtres humains, êtes-vous optimistes pour le futur?
B.M. -
Pardonnez ma réponse. Je ne veux pas déprimer les gens, mais je ne suis pas particulièrement optimiste pour le futur. Mais je souffre de dépression, donc j’ai forcément un regard plus sombre sur ce qui passe avec le climat, les réfugiés ou la manipulation des gens.

S.O.  - Je crois que l’espèce humaine a une forte capacité de résistance. Ce qui nous arrive aujourd’hui est regrettable. Mais le monde est déjà passé par des tas d’épreuves difficiles et ça arrivera encore après notre mort. Chaque génération croit qu’elle sera la dernière sur cette Terre, qu’après elle, ce sera l’apocalypse. Mais nous sommes toujours là. On doit garder ça en tête. Dans les moments que nous traversons actuellement, il ne reste que l’espoir et il faut s’y accrocher.

Le 29/3, Botanique, Bruxelles (complet). Mais Moustique vous offre des places.

Le 25/6, TW Classic, Werchter.

Le 8/11, Sportpaleis, Anvers.

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