
Quel bazar! Ces phrases dont Arno avait le secret

“Tu as vu ma nouvelle coiffure, on dirait Bruce Willis. Mais sans son hélicoptère, hein!” Voilà comment Arno, décédé ce samedi, nous avait accueillis l’une des dernières fois que nous l’avions rencontré. La chimio avait effacé sa chevelure poivre sel et amaigri le corps. Mais l’œil brillait toujours et la vanne lui permettait de briser la glace ou de botter en touche. Best of des entretiens qu’il a accordés à Moustique.
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Le cancer
“Un matin de novembre 2019, ma copine m’a dit: “Arno, tu es tout jaune, tu devrais aller voir le médecin”. J’ai pris rendez-vous et on m’a diagnostiqué un cancer du pancréas. 5 à 10 % de chances de m’en sortir… Il fallait m’opérer d’urgence. Quel bazar! Je n’ai rien vu venir. Je n’étais pas malade, je ne sentais rien et je me retrouvais en sursis. J’accepte le cancer car j’ai eu une vie fantastique. J’ai eu le cul dans le beurre.”
La mort
“Je n’ai pas peur de la mort. Mais je ne veux pas en parler. J’aimerais que mes cendres soient dispersées dans la mer à Ostende et qu’on passe Like A Rolling Stone de Bob Dylan. Pour le reste, je n’y pense pas. Fuck le passé, l’avenir ne compte pas. Je veux vivre au présent chaque jour qui me reste à vivre.”
Mon nouvel album
“J’ai écrit des nouvelles chansons. Elles ne parlent pas de la maladie ou du Covid. Elles parlent des gens. Du rock, du blues, de l’harmonica. Il y aura aussi un duo avec Mireille Mathieu, C’est mon idole.” (Arno a trouvé le courage de terminer l’enregistrement de ce disque qui sortira chez [PIAS] en septembre - NDLR.)
Maman Lulu et papa Maurice
“Mon père Maurice est décédé en 2015 à nonante ans. Il n’était jamais malade. Il n’a jamais mis un pied dans un home. Il était gauchiste et syndicaliste. Il a accompli son service militaire dans l’armée anglaise au début de la Seconde Guerre mondiale, a fait décoller les Spitfire qui bombardaient les lignes ennemies et est revenu à Ostende à la Libération pour se marier avec Lulu. À la mort de ma mère Lulu en 1973, ce sont mes cousines maternelles qui lui ont trouvé une autre femme pour qu’il ne reste pas seul. Mon père s’est toujours inquiété pour moi. Le jour de mon quarantième anniversaire, il m’appelait pour me dire: “Arno, il serait temps que tu trouves un vrai travail”. Pourtant je gagnais bien ma vie, je vendais des disques. Mais pour mon père, ce n’était pas du boulot.”
Mon autisme
“Quand j’étais petit, mes copains disaient: “Arno, il n’est pas comme nous, il reste toujours seul et ne parle jamais.” C’est la vérité. Je suis autiste et je bégaie. Je suis avec tout le monde mais avec personne. Mais je n’en souffre pas, ça m’a aidé à devenir ce que je suis. Ma grand-mère Marie-Louise me répétait de ne pas m’en faire. “Arno, reste toi-même, n’essaie jamais d’être quelqu’un d’autre, c’est trop compliqué.” C’est le meilleur conseil que j’aie reçu de toute ma vie.”
La découverte d’Elvis
“Gamin, j’accompagnais maman Lulu dans les music-halls bordant le casino d’Ostende et je suivais ma grand-mère Marie-Louise qui chantait dans les cinémas muets. Elle jouait aussi du piano, mais elle ne voyait jamais les touches. Marie-Louise, elle avait des roberts aussi gros que des bulldozers. Fin des années 50, j’ai découvert le rock grâce à mon copain Frank, ou plutôt grâce à ses frangines. Des vraies teenagers, très influencées par tout ce qui venait d’Angleterre ou d’Amérique. Elles avaient un pick-up. Un matin, je suis arrivé chez Frank qui déjeunait. Pendant qu’il mangeait ses tartines, les sœurs m’ont fait écouter un disque d’Elvis Presley, One Night With You. Une claque! C’est comme ça que tout a commencé.”
Ostende
“Quand je pense à Ostende, je sens d’abord l’odeur. L’odeur de la mer, des mouettes, des crevettes. Tu sais que je suis allergique aux crevettes? Incroyable, non? Comme Léopold II, je vis à Bruxelles mais j’ai un pied-à-terre à Ostende. J’aime bien venir en hiver. Je marche le matin sur le sable quand il n’y a personne. Je parle à la mer, je parle à ma mère et à moi-même. Il n’y a que sur la plage que je peux faire ça, sinon j’aurais l’air d’un con. Et le soir, quand je sors un peu saoul d’un bar, je prends un bol d’air pour mettre de l’iode dans mes narines. Un bon remède contre la gueule de bois. Lorsque le soleil se couche, je vois plein de tableaux de Léon Spilliaert. C’est comme s’il allumait la digue chaque soir.”
European cow-boy
“Je me sens Belge mais aussi Européen. Pour moi qui ai vécu au bord de la mer, la notion de frontière est complètement abstraite. La ville d’Ostende est flamande, mes grands-parents parlaient le français et j’ai perdu ma virginité avec une Anglaise.”
L’inspiration
“Chaque jour, je vais prendre mon thé sur une terrasse dans le quartier de la place du Marché aux Herbes (dans le centre de Bruxelles). C’est ce que j’aime le plus. Je regarde les gens qui passent et ça me donne des idées de chansons. Toute mon inspiration vient de là.”
Les conneries
“Il y a eu quelques joints, mais jamais de drogue dure. Heureusement. De l’alcool? Oui, beaucoup d’alcool. Je n’ai jamais été agressif avec les autres, mais je me suis fait du mal à moi-même. D’un autre côté, sans ces conneries, je n’aurais sans doute pas eu le parcours que j’ai eu. C’est le prix à payer et maintenant je paie la facture.”
La musique
“Les concerts, c’est mon adrénaline. La musique, c’est ma maîtresse. Elle ne m’a jamais trompé.”