

Samedi soir, tandis que le soleil se couche sur les éoliennes, les dernières images d'Epinal qui restaient collées à Dour ont été jetées dans les toilettes de l'Histoire. Il est 22 heures et Angèle fait son show sur la Last Arena. Les gens sont beaux. Bronzés, souriants et bien habillés. Prêts à faire une story Insta avec hashtags #Angèle #Doureuuuh. A Dour, en 2022, vous ne croiserez plus un punk, plus un métalleux.
Dour Festival ©Mathieu Golinvaux
Les temps changent et c'est très bien ainsi. En tout cas, une chose est sûre, Dour n'est plus ce festival underground unique en son genre, proposant toutes les musiques des marges en un seul lieu. Le public alternatif est resté au pied des terrils et avec le nouveau site (inauguré il y a quatre ans), c'est un nouveau Dour qui est apparu. Un Dour plus lisse, plus convivial aussi, mais qui semble toujours à la recherche d'une (nouvelle) identité propre. Et le concert d'Angèle en tête d'affiche du samedi soir en était la plus belle expression.
Angèle - Dour Festival ©Mathieu Golinvaux
Un spectacle plus qu'un concert, d'ailleurs. Un show pop pop pop, avec chorégraphies sur écrans colorés, robes à paillettes et une performance répétée, millimétrée, hyper calibrée. C'est peut-être là que le bât blesse. Angèle était apparue il y a quatre ans avec une certaine innocence, une fraîcheur qui lui donnait tout son charme. Avec cette nouvelle tournée (très – trop - centrée sur le deuxième album), le professionnalisme a pris le pas. Angèle fait le show sans dévier d'un millimètre de ce qui était prévu. C'est une machine bien rodée, mais qui tourne un peu à vide. On en ressort avec des images pleins les yeux, mais c'est à peu près tout. Manquait une certaine forme de magie, de la spontanéité ou de l'émotion, tout simplement.
Pour l'émotion, mieux valait se trouver du côté de la Petite Maison dans la Prairie un peu plus tôt dans la soirée. Odezenne y a offert comme à son habitude une prestation généreuse, pleine et intense. Un moment d'échange avec le public reprenant chaque texte de son excellent dernier album « 12.000 mètres en tout ». Entre hip-hop, chanson et new wave, le groupe bordelais a créé un style bien à lui et son nom se répand un peu plus à chaque prestation, comme un nouveau versant de l'alternatif.
Ce ne sera pas la seule bonne surprise du week-end. Car si la Last Arena est accaparée par les rappeurs dont le boulot principal semble être de chauffer le public à bloc à coups de grosses basses – ce qu'ils font certes plutôt bien, de Niska à Roméo Elvis en passant par Vald ou le plus subtil Loyle Carner -, les autres scènes laissent encore la place à de véritables sensations musicales, à ces musiques de la marge qui sont l'essence de Dour.
On pointera particulièrement le set de Mansfield TYA dimanche sur le coup de 17 heures. Enième projet de Rebekka Warrior, figure de l'alternatif français (Sexy Sushi, Kompromat...), Mansfield TYA est un duo electro-pop et baroque ou les synthés se mélangent au violon, faisant de ces chansons des petites cathédrales pop qui cachent bien des choses. Mansfield est plein de surprises, nous offrant une montée acide sous thérémine (le plus vieil instrument électronique), une reprise du « A Forest » des Cure reconnues par quelques érudits seulement ou encore ce duo avec FanFan des Bérurier Noir débarqué d'on ne sait où (même si le jeune public aurait préféré Odezenne qui se produisait la veille) pour terminer sur un improbable Wall of Death (sorte de pogo de guerriers normalement limité aux concerts de metal dur) avec un public innocent qui s'est exécuté de bonne humeur sans trop savoir de quoi il s'agissait. Concert du week-end, sans aucune hésitation !
Sur la troisième marche du podium alternatif, on placera les Russes de IC3PEAK. Duo moscovite ayant fui le régime qui était à ses trousses bien avant la répression liée à la guerre en Ukraine (ce seront les premiers mots de la chanteuse : « Nous sommes russes et contre cette guerre criminelle »), IC3PEAK remet le gothique au goût du jour en peignant toutes les nuances du noir : electro, hip-hop, metal ou pop, tout y passe. Des basses énormes, une atmosphère étouffante contrebalancée par la voix douce de la chanteuse et un show visuel aussi simple qu'efficace. Le noir leur va si bien.
Pour conclure sur ce Dour en pleine transition, on pointera la venue d'Elio Di Rupo, serrant des pinces au concert de Niska, et celle du Prince Laurent venu voir Angèle. Le festival n'a pas affiché complet. Loin de là, même. Mais c'est peut-être pour un bien, car le site est apparu plus vivable et agréable et il ne ferait pas de mal à Dour (et aux autres gros festivals) de revenir à une taille plus humaine et proche des gens, tout simplement. Le festival est né du tissu associatif et il serait bon de s'en rappeler.
Si le nouveau site manque peut-être de caractère (on se croirait sur une plaine flamande), il est aussi plus facile à rejoindre. La mobilité est quelque chose qu'il faudrait d'ailleurs penser à développer et notamment le fait d'inciter les gens du coin à venir à vélo. Dans une région aussi plate où les ravel et pistes cyclables sont légion, le vélo semble le meilleur moyen de circuler. Pourtant, rien n'est fait pour, tout est laissé aux voitures. Là où chaque festival flamand ou le voisin français Cabaret Vert proposent des parkings de vélos à n'en plus finir et incitent les gens à utiliser la deux roues à pédales, Dour roule toujours au pétrole. Un peu ubuesque pour un festival qui a désormais lieu au pied des éoliennes.
Dour Festival ©Mathieu Golinvaux