
Muse : «C’est le plus grand malentendu qui existe sur notre groupe»

Muse, c’est un peu les Amélie Nothomb du rock. Comme l’auteure de L’hygiène de l’assassin, le trio originaire du Devon a instauré son propre cycle : un disque tous les trois ans suivi d’une tournée mondiale d’un an et demi. Comme Amélie Nothomb, le groupe peut toujours compter sur une communauté de fans aussi remontée que celle formée par ses haters. Et alors que notre compatriote lançait voici deux semaines la rentrée littéraire avec Le livre des sœurs, Muse crée l’événement de la nouvelle saison musicale avec “Will Of The People”.
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Enregistré à Santa Monica et à Abbey Road, “Will Of The People” montre que Matt Bellamy (chant, guitare), Chris Wolstenholme (basse) et Dominic Howard (batterie) restent attentifs au monde d’aujourd’hui tout en imaginant celui de demain. Et ce n’est pas joyeux. Dystopie angoissante, pandémie, conflits en Europe, prise de contrôle par les algorithmes, émeutes raciales, montée des populismes nourrissent leurs dix nouvelles chansons. “We are fucking fucked” chante même Matt sur l’ultime plage du disque. “Nous sommes baisés”. Entre grandiloquence (Verona) et simplicité (la ballade piano/voix Ghosts), montées nu-metal (Won’t Stand Down) et sucrerie pop (Compliance), rock progressif (Euphoria) et piano classique (Liberation), Muse ne laisse apparaître aucun signe d’essoufflement et n’a peur de rien comme nous le confirme en exclusivité Chris Wolstenholme, bassiste mais aussi papa poule tout gentil, tout mignon.
Après toutes ces années, ressentez-vous toujours la même excitation à la sortie d’un disque ?
Chris Wolstenholme - Le format album reste toujours important pour Muse. Même si on sait que beaucoup d’auditeurs vont “piocher” dans le disque sans forcément l’écouter dans son intégralité, nous avons l’ambition de présenter à chaque fois une œuvre cohérente de la première à la dernière chanson . Avec “Will Of The People”, cet enthousiasme est décuplé parce qu’on sort de deux années de pandémie. Écrire les chansons, travailler sur les clips et la promo, réfléchir à la tournée… Tout ce processus nous a manqué alors qu’il faisait partie de nos vies depuis plus de vingt ans.
Le constat dressé dans “Will Of The People” est très sombre. Vous voyez malgré tout une lueur d’espoir ?
Quand Matt chante “Nous sommes baisés” sur We Are Fucking Fucked, je ne peux que lui donner raison. Pendant la pandémie, j’étais comme tout le monde confiné à la maison. Je n’entendais que des trucs négatifs à la télé. Le Covid, les émeutes raciales, #MeToo… Je pense que pour beaucoup de gens, ce fut une révélation. Ils savaient que toute cette merde existait, mais là ils avaient le temps d’y réfléchir. Ils n’avaient que ça à faire. Et l’espoir réside peut-être dans cette prise de conscience collective qu’il y a urgence à changer les choses. On ne peut plus dire “on va attendre”.
Muse joue la carte de la surenchère sur chaque album. Avec “Will Of The People”, par contre, c’est comme si vous vouliez revenir à l’essence même d’un trio rock.
Il y a un peu de ça en effet. Nous avons toujours été très attentifs aux nouvelles technologies, mais on sait aussi garder nos distances. Grâce à elles, nous avons beaucoup expérimenté en studio et sur scène ces dernières années. Tout ce travail a débouché sur de belles choses, mais aussi sur d’autres moins réussies. Avant de travailler sur “Will Of The People”, nous avons beaucoup discuté sur la direction à prendre. Il n’y a pas eu une ligne de conduite bien claire, mais l’envie commune était de se focaliser sur nos forces et sur ce qui nous définit le mieux: la musique, les guitares, la basse, la batterie.
Kill Or Be Killed ou Won’t Stand Down sont les chansons le plus metal jamais enregistrées par Muse. Comment l’expliquez-vous ?
Lors des concerts que nous avons donnés en festival cet été, il nous arrivait régulièrement d’emprunter une ligne de guitare ou de section rythmique à AC/DC, Rage Against The Machine ou Jimi Hendrix. C’est une manière très fun de rappeler et d’assumer nos influences. Ces artistes ont forgé notre éducation. Ce background metal a toujours été présent dans notre musique, mais on l’entendait peut-être moins sur nos derniers disques qui étaient plus électro. Ces influences sont plus affirmées sur “Will Of The People”. Encore une fois, je pense que ça résulte du fait que la pandémie nous a privés du plaisir de jouer et de faire un maximum de bruit ensemble.
La chanson Liberation tient quasiment de l’hommage à Queen. C’est le groupe qui vous met tous d’accord ?
On a toujours été fans de Queen. Ce que j’aime chez eux, c’est qu’ils n’ont jamais eu peur de pousser le bouchon trop loin. Ils osaient beaucoup de choses, s’amusaient, quitte à se ridiculiser ou se mettre dans une position inconfortable, y compris vis-à-vis de leurs fans.
Muse pousse aussi le bouchon trop loin ?
Oui, exactement. Et pour moi, c’est le plus grand malentendu qui existe sur Muse. Nous sommes un groupe de rock, on peut faire ce qu’on veut. Beaucoup de gens disent: “Muse, ce sont des mecs qui se prennent au sérieux, jouent du rock progressif et enregistrent des albums conceptuels”. S’ils savaient comment on se comporte en studio et dans les loges… On ne décèle pas toujours le sarcasme dans certains textes de Matt ou le second degré qu’il y a dans nos clips.
Quand vous ne tournez pas dans les stades, vous menez une vie familiale normale et discrète. Une manière d’échapper au pétage de plomb ?
Je ne le vois pas comme ça. Ma famille, c’est ma famille. Mon groupe, c’est mon groupe. Ce sont deux existences distinctes que j’ai menées presque parallèlement. J’ai eu mon premier enfant à l’époque de la sortie de notre premier album “Showbiz” en 1999. J’en ai huit aujourd’hui. Et Muse a fait neuf albums. Ces dernières années, du moins pendant les congés scolaires, ma famille m’accompagne en tournée et j’ai la chance de faire coexister mes deux vies. Pour le reste, je suis un mec heureux. J’ai l’impression d’apprendre tous les jours, à la fois comme musicien et comme père.