Comment les mégaconcerts sont en train de bouleverser l'industrie musicale

Festivals, mégaconcerts, tournées à rallonge… L’offre de musique live a explosé en même temps que le prix des billets. Et ça ne fait que commencer.

méga concert de Rammstein
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Le public va devoir faire des choix et ceux-ci ne seront pas seulement guidés par des raisons économiques.” Interviewé par Moustique à la veille de la saison des festivals de l’été dernier, Denis Gerardy, directeur du Cirque Royal de Bruxelles et programmateur des Solidarités de Namur, a vu juste dans son analyse. Après deux années de mise à l’arrêt forcé par la pandémie, le secteur de la musique live s’est relancé en force en 2022. Un nouveau model business s’est imposé tant chez les organisateurs de concerts que chez les artistes pour qui le live est devenu la principale source de rémunération. Du côté du consommateur, les attentes comme les habitudes ont, elles aussi, évolué dans un marché complètement dérégulé. En scrutant les grands rendez-vous musicaux déjà confirmés pour 2023, force est de constater que ces nouvelles tendances ne feront que s’accentuer. Explications. De plus en plus de gros artistes délaissent les festivals établis (Rock Werchter, Tomorrowland, Les Ardentes….) et capitalisent uniquement sur leur propre nom en se produisant dans des stades ou des grandes plaines. En 2022, Coldplay (quatre concerts), Ed Sheeran (2) et The Rolling Stones (1) ont joué au stade Roi Baudouin, alors que Rammstein attirait 100.000 personnes dans l’immense parc De Nieuwe Koers à Ostende. Du jamais vu en un seul été en Belgique. En 2023, six mégaconcerts sont déjà confirmés au stade Roi Baudouin: The Weeknd (11 et 12/7), Mylène Farmer (22/7) et Rammstein (3, 4 et 5/8). On ajoutera aussi Harry Styles qui va remplir à lui tout seul la plaine de Rock Werchter le 24 juin, alors que Bruce Springsteen a écoulé en une heure seulement les 60.000 tickets de son concert à Werchter Boutique le 18 juin.

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Les “petits” trinquent

En 2022, ce ne sont pas les gros festivals (seuls Dour Festival, les Francofolies de Spa et Esperanzah! ont accueilli moins de monde que prévu) qui ont été pénalisés par cette nouvelle concurrence, mais bien les “petits” concerts en saison. Comme si, après avoir dépensé cent euros pour acquérir sa place en prévente pour The Weeknd ou Rammstein au stade Roi Baudouin, le fan de musique rechignait à débourser 10 ou 15 euros pour aller voir un artiste émergent au Botanique. Si les découvertes dans les genres mainstream (hip-hop, urbain) suscitent encore la curiosité, c’est beaucoup plus difficile pour les jeunes artistes pop, rock et chanson française.

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Marché dérégulé

Le secteur du live ne répond plus à aucune logique économique. Quand l’offre d’un produit est abondante et que la concurrence est féroce, les prix pour le consommateur ont tendance à être compétitifs. Ce n’est pas le cas pour les concerts.  Le prix du billet a explosé en 2022 et il augmentera encore en 2023. Les raisons sont diverses: augmentation des cachets artistiques, flambée des coûts de production et de transport, pénurie de techniciens. Le portefeuille des ménages, lui, a diminué. Mais ça, vous le savez déjà.

La recherche de rareté

Les concerts complets des mois à l’avance sont souvent teasés comme une “rareté” ou comme un “événement”. On parle des artistes qui font leur retour après une longue absence (The Cure, Mylène Farmer, Bruce Springsteen, Depeche Mode…), ceux qui ne reviendront peut-être plus jamais (Roger Waters, Peter Gabriel, Kiss qui fait ses adieux depuis trois ans) ou les hype du moment (Harry Styles, The Weeknd, Lomepal). Il y a les fans bien sûr qui se ruent sur les places, mais on note aussi un signe de reconnaissance sociale, voire de pression inconsciente, par rapport à certains mégashows. Pour exister au sein d’une communauté, on se doit d’y être. Il faut poster un selfie le soir même au milieu de la foule d’autres privilégiés, savoir en parler le lendemain dans la cour de récré ou devant la machine à café. Le cas d’école est bien sûr Rammstein. Passionnés de metal ou pas, tout le monde veut aller voir le show pyrotechnique du groupe allemand. On connaît des gens incapables de donner le titre d’une de leurs chansons qui ont acheté leur place pour le stade Roi Baudouin.

Les tarifs segmentés

Acheter une place de concert, ça ressemble de plus en plus à acheter un billet d’avion, avec classe Business et Économique. Tout y est compartimenté et je déteste ça”, nous confiait Nicola Sirkis, d’Indochine, rare groupe (avec peut-être The Cure) à ne pas considérer ses fans comme des vaches à lait. Apanages des grosses stars internationales depuis plusieurs années déjà, le système des tarifs segmentés se généralise aujourd’hui, au point d’être imposé par des artistes se produisant dans des salles de capacité moyenne connues pour leur politique de prix démocratiques (Botanique, Reflektor…). Par tarifs segmentés, on entend les formules “early bird ticket” (achat en amont de la prévente officielle), “priority ticket” (accès à la salle avant l’heure d’ouverture), “Golden Pit” (ticket assurant de se retrouver aux premiers rangs), package Vip “à la carte” (avec rencontre ou photo avec l’artiste, voucher pour le merchandising, buffet, parking sécurisé…), etc. Les combinaisons sont infinies et les prix astronomiques. Pour le concert de Kiss, le 13 juin 2023 au Palais 12, la place “normale” coûte 45 euros alors que le ticket “Vip Diamond Package” coûte 1.027 euros.

Le prix dynamique

Nouvelle pratique commerciale instaurée en 2002 aux États-Unis, “le prix dynamique” fait déjà couler beaucoup d’encre. Le principe? Le prix du ticket du concert varie en fonction de la demande. Bonjour la spéculation. Les tickets des dates US de Bruce Springsteen, pourtant grand défenseur de “l’Amérique d’en-bas” ont dépassé les 5.000 dollars, tandis que le système de prévente online pour la tournée de Taylor Swift a explosé en raison de la demande astronomique. Ticketmaster, la société chargée de la prévente avait reçu… 3,5 milliards de requêtes. Bonne année.

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